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ront emprunter. »[1] Et très souvent, dans le Journal de Winslow et les lettres de ses subalternes, il y a des souvenirs de l’Ancien Testament, ou des paroles divines mêlées aux infamies que ces soldats sont en train de consommer. Jedeliah Prebble lui écrivait, par exemple, de Fort Cumberland, le 24 août 1755 : « … nous nous réjouissons de votre heureuse arrivée aux Mines, et nous sommes charmés d’apprendre que vous avez d’aussi bons quartiers pour vous et vos soldats, étant donné que vous avez pris possession des édifices religieux : nous espérons que vous y remplirez bien les fonctions de prêtre. »[2] Nous nous demandons s’il est possible d’être plus cynique. Les Boches ont exactement le même langage aujourd’hui. Leur vieux Dieu, sinistre parodie de notre Dieu trois fois saint, est constamment appelé à la rescousse pour consacrer leurs atrocités. Hélas ! pareilles profanations ne seront-elles pas de tous les temps ? L’Évangile même en rapporte : dans l’épisode de la tentation de Notre-Seigneur, Satan s’est servi des inspirations de l’Esprit Saint pour donner couleur de raison et de justice à ses assauts contre la personne auguste du Verbe Incarné.

Nous ne pouvons suivre les pauvres Acadiens dans leur exode douloureux, vers la terre étrangère, leur débarquement sur des plages où on ne les attendait pas et où ils furent reçus comme des chiens. Il y aurait un ouvrage considérable à écrire sur les Acadiens en exil. Et peut-être un jour nous y mettrons-nous, s’il plaît à Dieu. Qu’il suffise de dire aujourd’hui que leur déportation, loin de marquer la fin de leurs misères, n’a été que le prologue d’années d’angoisses, d’agonie, de tortures physiques et morales, et pour des milliers d’entre eux, de mort. Il y a, par exemple, dans les Archives de l’État, à Boston, deux énormes cahiers in-folios dans lesquels ont été compilés les originaux des pièces où figurent les délibérations de la Chambre d’Assemblée et les arrêts du Conseil de la Province, concernant l’arrivée de ces parias et le traitement à leur accorder. Ces cahiers portent le titre de : French Neutrals. Nous allons souvent consulter ces document jaunis. Chaque fois qu’il nous est donné de toucher et de feuilleter ce que nous pourrions appeler ces actes des martyrs, de parcourir, par exemple, telle requête présentée par des Acadiens, exposant « que leurs enfants leur sont ravis de force sous leurs yeux et emmenés ils ne savent où dans une sorte d’esclavage », ah ! notre cœur est déchiré par de tels spectacles, bouleversé par les accents que la douleur arrachait à ces persécutés. Voici le texte de l’une de ces requêtes. Nous la donnons absolument telle quelle :

« À Son Excellence le Gouverneur général de la Province de Massachusetts Bay de la Nouvelle Angleterre et au Honorable Gentilhomme du Conseil.

  1. Nova Scotia Arch., vol. ii, p. 76.
  2. Winslow’s Journal. Coll. of N. S. H. S., vol. 111 (1883) p. 99.