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qu’il se couvre du manteau de la justice. Il y aura donc un simulacre de procès. La pièce accusatrice est longue et circonstanciée : par malheur pour la mémoire de Lawrence, c’est le réquisitoire le plus tendancieux, le plus hypocrite, le plus mensonger, le plus impudent, qu’offrent peut-être les annales judiciaires. Cette machine, analysée et disséquée ainsi qu’on peut la voir au tome deuxième d’Acadie, il reste qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat. Et cependant, c’est derrière cet absurde échafaudage que va se réfugier Lawrence pour perpétrer son forfait. Une dernière fois, le serment est offert aux Acadiens après qu’on leur a confisqué leurs archives et enlevé leurs armes : ils se consultent ; leur réponse est d’abord toujours la même : non possumus, nous ne pouvons pas. Ils se trouvent en face d’un ultimatum. De guerre lasse, voyant qu’ils ne seront pas écoutés, sentant qu’ils seront victimes de la violence, ils consentent enfin à se soumettre à ce qu’on leur demande. « Trop tard, leur répond Lawrence. D’après les lois anglaises ceux qui ont une fois refusé de prêter le serment ne peuvent plus être admis à le faire. »[1] Le traître a ce qu’il voulait. Le prétexte pour agir, le voilà. Et quelques jours après, savoir le 28 juillet 1755, il fait sanctionner à l’unanimité par son conseil, accru pour la circonstance du vice-amiral Boscawen et du contre-amiral Mostyn, l’ordre du jour suivant : » Comme il avait été antérieurement résolu de transporter les habitants français hors de la Province s’ils refusaient de prêter le serment, la seule chose qui restait à considérer portait sur les mesures à prendre pour exécuter ce plan et sur l’endroit vers lequel ils seraient dirigés. Après mûre délibération, il fut unanimement décidé que la meilleure méthode à suivre… était de les disséminer parmi les diverses colonies anglaises du continent ; à cette fin, un nombre suffisant de vaisseaux devait être nolisé dans le plus bref délai possible. »[2] Et les scènes d’horreur et d’ignominie de se déployer : emprisonnement des délégués acadiens dans la petite île Saint-Georges, confiscations des immeubles et des troupeaux par toute la péninsule ; main-mise sur les hommes et les garçons au-dessus de dix ans ; puis viendra le tour des femmes et des filles. John Winslow, répondant avec enthousiasme à l’appel de Lawrence, acourra de Boston pour présider à ces beaux faits d’armes : « Enfin, notera-t-il en propres termes dans son curieux Journal, lequel se trouve aux Archives de la Massachusetts Historical Society, nous allons pouvoir purger la Province de cette plaie d’Égypte ! » — À propos, il est remarquable de voir l’abus que ces Anglais, très liseurs de leur Bible, ont fait de l’Écriture-Sainte. Dès 1721, Philipps écrivait au Secrétaire d’État : « Si les Français quittent la Province, ce sera comme les Juifs sont sortis d’Égypte ; ils s’en tireront comme ils le pourront, avec ce qu’ils ont, et ce qu’ils pour-

  1. « …a clause in an Act of Parliament, I Geo. 2 c. 13, whereby persons who have once refused to take the oaths cannot be afterwards permitted to take them, but are considered as Popish recusants… » N. S. D., p. 256.
  2. N. S. D., pp. 266-7.