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fera une affirmation plus positive dans un autre message aux mêmes personnages : « Je suis bien déterminé à amener les habitants à se soumettre au serment ou à débarrasser la province de tels perfides sujets. »[1] Perfides ? Mais en quoi donc a consisté la perfidie des Acadiens ? Lawrence oublie de le spécifier. Quel renversement des valeurs chez cet homme absolument amoral ! La perfidie ! mais elle était du côté des gouverneurs qui, depuis quarante ans, malgré la clause du traité et contre les dispositifs d’une lettre royale, retenaient les habitants français dans la province. La perfidie ! mais elle était du côté du roi Georges ii et de son mandataire Cornwallis qui avaient inopinément invalidé un serment conditionnel prêté et reçu officiellement en 1730, avec toutes les garanties de sanction de la part de l’autorité souveraine. La perfidie ! mais elle était dans l’impasse où l’on acculait ces pauvres Acadiens. La perfidie ! ah ! avec le personnage qui vient d’entrer en scène et qui va précipiter le dénouement du drame longuement combiné et savamment mûri dans le mystère de la chancellerie britannique, à la perfidie s’ajoutera la froide cruauté, une barbarie si experte et si calculatrice, qu’en en voyant les preuves, l’on se demande si l’on ne rêve pas, si l’on n’est pas en proie à quelque effroyable cauchemar.

Mais que répondent donc les Lords du Commerce au vœu brutal exprimé par leur représentant dans sa lettre du 1er août 1754 ? Le document officiel est du 23 octobre 1754 : sa phraséologie de cabinet, à dessein entortillée, sournoise et pleine de sous-entendus, ne veut dire qu’une chose aux yeux d’un esprit honnête, à savoir : que sans le serment absolu, les Acadiens ne peuvent être considérés comme sujets anglais ni traités comme tels ; que leur refus de le prêter invalide leurs titres de possession, et fait d’eux, par conséquent, des étrangers, des ennemis dans la place, au sujet desquels il n’y a plus qu’une chose à faire, — les expulser au plus tôt. D’ailleurs, ajoutent ces bons Messieurs, en imitant un peu le geste de Pilate, nous souhaitons que vous vous entendiez là-dessus avec le juge-en-chef Belcher et que son opinion serve de base à toute mesure à prendre dans l’avenir concernant les habitants. »[2] Et c’est-à-dire qu’ils lui laissent le champ libre et qu’il a tout pouvoir d’exécuter les plans destinés à mettre la province en état de sécurité. Les Lords se portaient garants des mesures que Lawrence et Belcher pourraient adopter à

  1. « …am determined to bring the inhabitants to a compliance, or rid the province of such perfidious subjects. » N. S. D., p. 260.
  2. « …it may be a question well worth considering how far can they be treated as subjects without taking such oaths, and whether their refusal to take them will not operate to invalidate the titles to their lands… could wish that you would consult the chief justice upon this point and take his opinion, which may serve as a foundation for any future measure it may be thought advisable to pursue with regard to the inhabitants in general. » N. S. D., p. 237.