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sacrifier un principe qui leur était sacré ? Et cependant, le départ auquel ils sont résolus, il faut absolument l’empêcher. Il est vrai que les colons anglais sont maintenant nombreux dans la péninsule, et qu’il serait facile, en favorisant le courant de l’émigration, de donner aux Acadiens des remplaçants. Mais où iraient ces habitants français ? L’Île Royale ayant été rendue à la France, ils s’y porteraient en masse, ou à l’Île Saint-Jean ou au Canada. Quel précieux appoint, pour celle qui est toujours la grande ennemie, constituerait l’accession de ces milliers d’habitants ! Et quelle menace en résulterait pour les possessions britanniques ! Leur exode n’aura pas lieu. Et il faut voir à quelles roueries, à quels subterfuges, à quels plats mensonges, à quels fallacieux prétextes Cornwallis a recours pour l’entraver !

Au bout de deux ans de ces odieux manèges, Cornwallis, comme dégoûté du rôle qu’il a joué, s’en retourne dans son pays. Les Acadiens sont restés, et il a donc obtenu cela ; mais, sur l’affaire du serment, il a manqué son coup. L’objet essentiel de sa mission avait échoué pitoyablement.

Peregrine Thomas Hopsou, qui lui succède, semble avoir eu un grand sens politique. Ses premiers actes officiels sont pour supplier les Lords du commerce de ne pas le laisser presser les Acadiens sur la question du serment, dont il apprécie toute la gravité ; il désire que l’état des choses existant se prolonge indéfiniment, et en véritable diplomate, il croit que le temps finira par tout arranger à la satisfaction générale.[1]

Et voici venir, dans la personne de son successeur Charles Lawrence, l’homme fatal, l’exécuteur des hautes œuvres, le bourreau qui fera du peuple acadien un peuple martyr. Avec un tel homme — pardon, une pareille brute — les choses vont marcher rondement. Notre-Seigneur avait dit à Judas, après que Satan fut entré en lui : « Quod facis, fac citius. Ce que tu fais, fais-le vite. » (Jean. xiii, 27.) Lawrence voulut aussi faire vite, perpétuer au plus tôt la noble action qui devait, selon ses propres paroles, lui mériter la gratitude éternelle de la Grande-Bretagne. Le fameux serment est encore mis de l’avant. Il le faut bien, pour couvrir le crime abominable qui est déjà tout préparé. Le 1er août 1754, il écrit d’Halifax aux Lords du Commerce : « …tout considéré, je ne puis m’empêcher d’être d’avis que, s’ils refusent le serment, il vaudrait mieux qu’ils fussent éloignés. »[2] Le 18 juillet 1755, il

  1. « Mr. Cornwallis can thoroughly inform your Lordships how difficult, if not impossible, it may be, to force such a thing (the oaths) upon them, and what ill consequences may attend it… as they (les Acadiens) appear to be much better disposed than they have been, and I hope will still amend and in a long course of time become less scrupulous, I beg to know… how far His Majesty would approved my silence on this head till a more convenient opportunity. » Hopson to Lords of Trade, 10 déc. 1752 N. S. D., p. 197.
  2. « I cannot help being of opinion that it would be much better, if they refuse the oaths, that they were away. » N. S. D., p. 213.