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regardant l’anglois comme son maître on se croyait en seureté sous la foye de la capitulation, on se croyoit obligé à l’obéissance.

Messieurs de Vergor et le Loutre avoient dit en partant qu’il étoit de l’intérest de l’habitant d’être bien soumis, l’Anglois cachoit son dessein, paroissoit même travailler à perfectionner les établissemens.

L’ordre vint de se rendre au fort pour prendre disait on, des arrangemens concernant les terres, dans de telles circonstances je ne pouvois leur conseiller la désobéissance sans me charger de tous les malheurs qui sont arrivés.

Si en effet, j’eus conseillé alors de refuser l’obéissance, la majeure partie des habitans persuadée qu’elle retrouveroit l’ancienne tranquilité sous le règne de l’anglois, et attentive uniquement à un aveugle interest pour leur terre, ne m’auroit jamais écouté et la rebellion des autres auroit fourni à l’Anglois un prétexte spécieux et unique pour enlever tous ceux que les promesses, la violence et quelqu’autre voye auroit mis sous sa main.

Je ne pouvois manquer alors d’être regardé comme l’auteur des malheurs de l’Accadie, l’habitant peu capable de démesler les vrais ressorts qui font agir l’Anglois n’auroient pu penser autrement et partout il m’auroit rendu responsable de ses désastres.

Ajoutez à toutes ces raisons que restant le seul prestre dans ces quartiers, au point de vue ou les choses se montroient la religion, la charité, l’interest même de la France exigeoïent de moy toutes les mesures possibles pour m’y maintenir, et que pour cet effet j’avois été obligé de promettre simplement à l’Anglois de ne point toucher aux affaires d’État, et que voyant d’ailleurs que l’Accadien, soit pour faire sa cour, soit par imprudence, informoit au fort de tout ce qui se passoit, je ne pouvois ouvrir la bouche contre l’Anglois sans m’exposer à des grosses affaires qui auroient tourné autant au préjudice de l’habitant qu’à ma perte.

Ces raisons sont presque suffisantes pour justifier ma conduitte dans cette conjecture difficile et pour ne point juger rigoureusement les habitans qui se rendirent au fort Anglois.

Je reviens maintenant à ceux qui se trouvèrent en liberté envers lesquels j’ay agy autrement.

Dès que je vis les autres arrêtés aux fort, je vis bien que les ménagemens vis-à-vis l’Anglois étoient déplacés et que je ne pouvois mieux faire que de sauver pour la religion et pour la France le reste de mon troupeau.

Le commandant anglois par ses promesses séduisantes, des offres captieuses et par des présens même que je n’osai refuser pour la première fois, avoit crû me mettre dans ses interests ; se croyant donc assuré de moy, il me manda qu’il souhoitoit me voir incessamment, il me connoissoit mal.

La première qualité d’un Missionnaire s’il est digne de son nom c’est d’être honnête, homme, et le premier devoir d’un honnête homme c’est une fidélité inviolable à la patrie.

Je me gardai donc bien des embûches qu’il me tendoit et je lui répondis