Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/474

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 462 ]

Cette Rivière en effet donne une entrée facile dans le Canada, les met à porte de chasser au loin toutes les nations sauvages, leur assure la possession entière de toute l’Accadie et de la côte de Pentagouet, une pleine liberté dans la baye françoise avec beaucoup de havres commodes en toute saison et faciles à deffendre, sans parler d’ailleurs que cette Rivière fournit du champ à une province bien établie ou la bonté de la terre jointe à la pesche rapporteront au delà du nécessaire.

Rien ne les a convaincus de l’importance de ce poste que la conduite de Monsieur de Boishébert lequel avec une poignée de gens s’y est soutenu cet esté, et par les petites sorties qu’il en a fait, les a harcellés au point de les mettre au désespoir comme je l’apprends de Pierre Suret.

Le neuf Février un bâtiment anglois mouilla sous pavillon françois dans le havre de la Rivière Saint Jean et ayant apperçu deux bâtimens qui passoient par hazard il envoya quatre déserteurs françois à terre qui feignirent qu’ils étoient suivis de plusieurs navires françois, qu’ils venoient tous de Louisbourg pour prévenir l’Anglois qu’on savoit dans le dessein de s’établir bientôt à la Rivière Saint Jean et qu’ils cherchoient un praticien de l’endroit pour mouiller dans le fonds du havre.

Des gens plus rusés auroient apperçu le danger qu’il y avoit à s’engager. Un de nos malheureux Accadiens donna directement dans le piège tout visible qu’il étoit. À peine fut il à bord que l’anglois mit son pavillon et l’assura d’un coup de canon.

Les familles du Port Royal dont j’ai déjà fait mention estoient cabanées au voisinage (on les a fait passer dernièrement au haut de la rivière) et ayant accouru au bruit, ils s’apperçurent que l’Anglois s’approchoit pour enlever le Bâtiment où ils s’étoient sauvés ; sans perdre de temps ils en débarquèrent quelques pierriers, et les ayant placés avantageusement et apporté toutes les armes qu’ils pouvoient avoir d’ailleurs, ils firent un tel feu sur l’Anglois qu’il fût contraint de se sauver comme il étoit venu. Ce Bâtiment venoit en apparence du Port Royal pour chercher des nouvelles.

Tous ces evénemens demandoient la présence de Monsieur Boishébert, il est donc parti de Cocagne le quinze Février, laissant à sa place Monsieur Grandpré de Niverville son second avec un nombre de Sauvages pour continuer à harceler l’enemy et pour favoriser l’invasion des habitans.

Comme j’ai fait évader les familles qui l’automne dernier onta passé de ces quartiers là sur l’Isle Saint Jean, et que sur l’apparence des affaires, je suis dans les mêmes sentimens à l’égard de ceux qui nous restent encore, il m’a prié de continuer mes soins sur ce sujet de concert avec M. de Niverville.

Nous travaillons donc présentement à faire sauver ces pauvres Accadiens qui n’ont point voulu se rendre à l’anglois ; le nombre à la vérité en est peu considérable et encore sont ils dispersés et dans des situations les plus fâcheuses, mais enfin ils sont françois, ils nous coûtent chers ils sont chrétiens, et coûtent beaucoup à Jésus-Christ.