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René Richard a pu rejoindre son fils Charles, ce n’aura été que pour être témoin de son découragement, de sa maladie et de sa mort, arrivée vers 1760 ; car celui-ci ne put résister plus longtemps aux misères et aux privations de cette vie de mercenaire, à laquelle il n’était pas accoutumé.

Les déportés du Massachusetts ne manquèrent aucune occasion de manifester leur attachement à leur foi et à la France. Au mois d’août 1763, apprenant que leurs frères détenus dans les ports d’Angleterre, avaient été rapatriés en France, 178 chefs de famille, parmi lesquels le vieux René Richard, signèrent une lettre exprimant le désir d’être traités comme leurs frères d’Angleterre. Cette demande n’ayant pas eu d’effet, et ayant d’ailleurs appris que leurs frères du Canada étaient traités avec bonté et avec justice par le Gouverneur Murray, ils adressèrent à ce dernier, 2 juin 1766, une requête (sur laquelle figure encore le nom de René Richard) pour être reçus au Canada.

Cette fois la réponse ayant été favorable, un grand nombre d’entre eux prirent leurs mesures pour passer au Canada durant l’été de 1767. Quelques-uns plus pressés de partir et plus courageux, entreprirent de faire le voyage à pied à la raquette, au cours de l’hiver 1766-67 !  ! Il n’est pas vraisemblable que le vieux René Richard ait songé à prendre ce chemin pour venir ici ; il dut attendre les vaisseaux qu’on devait affréter pour les fins de transport des femmes, des enfants, des vieillards et des infirmes, et c’est avec le gros de ses compatriotes qu’il arriva à Bécancourt à l’automne de 1767.

Ce n’étaient pas seulement des connaissances et des amis qu’il retrouvait à Bécancourt, c’étaient les familles de deux de ses enfants. C’était son gendre, Jean-Bte Leprince, veuf de Judith Richard, et remarié à Madeleine Bourg, veuve de Pierre Richard ; c’était sa bru, Madeleine Leblanc, veuve de Joseph, et mariée en 2e à Joseph Leprince, veuf d’Anne Forest. Ces familles, établies au lac St-Paul, depuis 8 ans, n’avaient pas encore recouvré l’aisance des anciens jours ; mais elles commençaient à sortir de misère et elles avaient à elles en propre, des maisonnettes en état de recevoir et d’abriter les malheureux arrivants de l’exil.

René Richard put couler en paix les dernières années de sa vie, mais sa part de tribulation et d’infortune avait été si grande et l’avait si prématurément vieilli, que ses petits-fils ont pu, avec une entière vraisemblance, le croire dix ans plus vieux qu’il n’était en réalité ! Qu’y a-t-il d’étonnant en cela ? La vie de cet Acadien, surtout depuis 1755, s’était écoulée au milieu de tant de vicissitudes et de si tragiques événements !

Dans sa jeunesse, il avait vu la prospérité et les beaux jours de l’Acadie sous la domination française. Dans son âge mûr, il avait été témoin des tracasseries des Gouverneurs anglais d’Annapolis et il avait vu grossir lentement le nuage qui portait la tempête… Il entrait déjà dans la vieillesse, quand éclata la tourmente… Depuis lors et pendant douze années, sa vie n’avait été qu’une suite d’aventures étranges, de tribulations inouïes, de deuils prématurés, de misères morales et physiques de toutes sortes… Encore une fois, il n’y a pas