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Winslow avait aussi ses inquiétudes, quoique d’une nature bien différente. Le chat qui guette la souris, le loup qui est à l’affût de l’agneau, en ont également. Son regard anxieux interrogeait souvent les routes poudreuses aboutissant à Grand-Pré. Bientôt, de distance en distance, il vit la poussière du chemin s’élever en légers nuages : c’étaient des gens à pied qui venaient lentement des lieux voisins ; puis, tout un cortège de charrettes chargées, arrivant des rivières Perreau, des Habitants, de rivière Canard, de Gaspereaux. Il en venait de plus en plus : l’on défilait devant l’église, en jetant des yeux surpris sur la place publique couverte de tentes et de soldats ; puis, le village s’était rempli ; l’on s’était réparti en essaims dans les maisons, sur le seuil des portes, le long des clôtures. Tous ces groupes étaient graves, recueillis. L’on hasardait quelques mots sur le temps, la récolte, les absents, sur des sujets indifférents : l’esprit était ailleurs ; sur le visage de tous se lisait une préoccupation ; comme involontairement, l’on se tournait vers l’église et le presbytère ; mais, ainsi qu’il arrive souvent dans ces occasions, solennelles et tristes, ce dont on parlait le moins, c’était de l’objet même de la réunion. L’on prêtait l’oreille pour entendre une opinion ; l’on questionnait du regard. Mais les aviseurs ordinaires étaient prisonniers à Halifax, et personne ne semblait avoir d’idée arrêtée en la matière[1].

Il y avait foule chez le père Landry, et plus encore chez le vieux notaire René Leblanc, où bien des parents et des amis étaient venus se joindre à ses vingt enfants et à ses nombreux petits-fils. Ce vieillard, toujours si confiant, si

  1. Cf. Casgrain. PèlerinageIV. 117-18.