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vement insolite, aucune agitation. Les apparences étaient donc favorables au plein succès de sa supercherie ; mais la situation où il se trouvait était si nouvelle, si étrange, l’opération qu’il préparait était si barbare, qu’il ne pouvait se défendre des appréhensions qui l’assaillaient malgré lui. Il était comme humilié, honteux de lui-même ; en même temps, il désirait ardemment la réussite de son entreprise. Car, s’il y avait, de la part des habitants, résistance, et refus d’obéir à l’ordre de convocation, à quelles extrémités cruelles ne serait-il pas forcé de recourir contre un peuple au désespoir et désarmé ? Son esprit dût passer par toute la série des sensations qu’éprouve, à son premier crime, le serviteur jusque-là fidèle[1].

L’horloge allait bientôt sonner, pour la petite nation acadienne, la fin d’un siècle de tranquillité et de bonheur. En fait, depuis un an, la sérénité des anciens jours s’était évanouie ; les nuages s’étaient amoncelés plus épais et plus drus au dessus de leurs têtes ; l’orage avait éclaté, et son intensité s’était accrue. On leur avait enlevé successivement leurs bateaux, leurs armes, leurs archives et leurs prêtres ; cent quinze de leurs principaux citoyens, pour le simple refus de prêter serment, languissaient encore dans les prisons

  1. Nous ne voyons pourtant pas, dans le Journal de Winslow, trace de pareilles appréhensions ; surtout, il ne paraît pas que ce militaire ait été en proie à quelque hésitation avant de procéder à l’exécution de son œuvre. Certes, c’était bien un crime qu’il allait accomplir ; mais il ne semble guère s’en être douté, ni en avoir ressenti de confusion ou de remords anticipé. Nous avons vu, au contraire, dans le chapitre XXIX, avec quel enthousiasme Winslow envisageait la campagne de proscription dont l’effet serait d’assurer à son Souverain la possession tranquille de la Nouvelle-Écosse. Et, dans sa pensée, le rôle qu’il allait y jouer constituerait la preuve la plus éclatante de fidélité et de dévoûment aux intérêts britanniques qu’il eût encore donnée,