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courses dans les environs de Beauséjour et de Port-Royal ; ils tuaient les animaux domestiques restés dans les bois, ou les chassaient devant eux vers les bords de la mer, d’où ils les conduisaient vers Miramichi. Cette ressource cependant était encore bien faible. M. de Boishébert, commandant sur la rivière Saint-Jean, s’était intéressé dans les vivres, ceux qu’on lui envoyait consistaient en morue salée ou sèche ; ils s’en contentèrent : on n’en paya pas moins au munitionnaire des rations complètes, et, quoiqu’il mourut beaucoup d’Acadiens, le nombre était le même. »

On voit que l’Abbé Ferland qui a écrit l’histoire cent ans après ces événements, n’a pas raison d’avoir les scrupules de l’Abbé Leguerne pour taire les noms des fameux concussionnaire ; et pour un, voilà un commandant français porteur d’un beau nom, cloué désormais au pilori de l’histoire.

La troupe, commandée par M. de Boishébert, qu’on n’avait laissée à la rivière Saint-Jean que pour sauver les familles acadiennes qui avaient échappé à la déportation, fut rappelée à Québec à l’automne de 1757, Près de deux cents familles acadiennes passèrent au Canada en même temps que les soldats.

Mais les circonstances ne pouvaient être plus déplorables pour ces malheureux réfugiés dont la situation réclamait les plus urgents secours, et qui durent cependant supporter les plus grandes rigueurs de la famine qui régnait alors par tout le pays.

« À Québec », dit l’Abbé Ferland, « on était réduit à quatre onces et même à deux onces de pain par jour. On donnait aux Acadiens de vieux chevaux et de la viande en partie gâtée »… « On payait pour le pain dix sous la livre, pour le bœuf vingt sous. »

Le 26 février 1758, M. Doreil écrivait : « Le peuple périt de misère ; les Acadiens réfugiés ne mangent depuis quatre mois, que du cheval et de la morue sans pain ; il en est mort plus de trois cents. »

En rapprochant ces deux témoignages des dernières paroles citées plus haut de l’Abbé Leguerne, décrivant les horreurs de la famine éprouvée par les Acadiens à Miramichi, je suis incliné à croire que cet ami des réfugiés a voulu renfermer dans un même cadre les deux principales phases de leur longue misère, commencée dans les bois de Miramichi et continuée sous les murs de Québec. C’est ce que semble confirmer son allusion « à une épouvantable contagion » laquelle ne fut autre que le fléau de la petite vérole qui vint décimer ces familles acadiennes après leur arrivée en Canada. Pour ma part, j’ai relevé dans les registres de Notre-Dame de Québec, plus de 250 sépultures d’Acadiens morts victimes de la petite vérole, à partir du 27 novembre 1757 au 1er mars 1758. Sur ce nombre, les Richards fournirent à eux seuls plus de 20 victimes et des familles entières de ce nom furent anéanties par le fléau.

Ce fut dans ces conditions de misère et de deuil que les familles plus haut nommées, arrivèrent à Bécancourt au printemps de 1758. La raison qui induisit les Acadiens à venir s’établir en cet endroit, se trouve sans doute dans le fait qu’ils connaissaient déjà un peu ce coin du Canada par leurs relations avec leurs amis et alliés, les sauvages Abénaquis, et peut-être aussi par les rapports qu’ils