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Pendant ce temps-là, le 15 octobre, l’Anglais avait expédié à la Caroline les prisonniers qu’il tenait dans ses forts de Beauséjour et de Beaubassin, « à la réserve de 86, pour la plupart des rivières Chipoudy etc, qui s’étaient sauvés le 30 septembre du fort de Beaubassin par un souterrain qu’ils avaient creusé avec des précautions surprenantes ».

L’histoire de ce souterrain et de cette évasion assez nombreuse de prisonniers, rappelée ici par Leguerne, est encore un de ces souvenirs que la tradition avait conservé dans ma famille ! Serait-ce par hasard que mon trisaïeul aurait été l’un de ces heureux fugitifs du fort de Beaubassin ? C’est ce que je ne saurais affirmer. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que parmi les premiers Acadiens réfugiés de Bécancourt, il s’en trouvait quelques-uns.

Revenu à Memramcook vers la fin de novembre, Mr Leguerne y apprit les instructions de Mr le Général : « Chaque habitant devait se tenir caché dans les bois à environ une demi-lieue de son habitation. » Mr de Boishébert, avec quelques soldats et un parti de sauvages, avait ordre d’aller hiverner à Cocagne, pour y être à portée de harceler l’ennemi, protéger les Acadiens et favoriser leur exode vers une terre française. Mais, cette fois encore, la trahison d’un misérable, nommé Daniel, suisse de nation, qui, depuis quatre ans, vivait au milieu des Acadiens, qui avait eu toute la confiance des missionnaires et des principaux officiers français, qui connaissait parfaitement le pays et les instructions données aux Acadiens et aux soldats, causa un mal immense aux Français et fit échouer entièrement la principale expédition que Mr de Boishébert avait organisée contre l’Anglais en janvier 1756.

Le traître servait de guide aux corps expéditionnaires de l’ennemi ; et, comme l’habitant gardait fort mal la retraite, chaque patrouille anglaise réussissait à faire quelques prisonniers. Trois fois dans le cours de l’hiver, les Anglais parurent dans le haut de la rivière Memramcook. La première fois, ils surprirent deux hommes qui étaient à faire un enterrement dans le cimetière. « Si j’avais été à Memramcook, » dit à ce sujet Mr Leguerne, « j’aurais été pris à cet enterrement. » La seconde fois, ils firent encore trois prisonniers, et la troisième fois, ils poussèrent leur reconnaissance jusqu’à un grand campement qu’avaient abandonné quelques jours auparavant 80 familles[1] auxquelles les captures précédentes avaient inspiré plus de crainte et de prudence. Grâce à une protection spéciale de la Providence, la neige qui tomba la nuit même où les Anglais firent cette expédition, les empêcha de voir la direction prise par les fugitifs et de mettre à exécution le projet qu’avait suggéré le traître Daniel : « de mettre à mort tous les hommes en état de porter les armes et d’amener prisonniers les enfants et les femmes. Ces familles finirent par se rendre à Cocagne où les appelait leur missionnaire et où elles achevèrent d’hiverner, « avec assez de misère ». Au printemps, ou les fît passer à l’île St-Jean.

  1. Dans sa lettre du 10 mars 1756 au gouverneur de Louisbourg, Leguerne dit : « plus de 20 familles » et, dans son mémoire à L’Abbé de L’Isle Dieu il dit : « plus de 80 familles. » Ce dernier chiffre me paraît être le véritable.