Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 2, 1916.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la répugnance à quitter leurs propriétés et à s’offrir d’eux-mêmes à partir, sans savoir où ils seront envoyés. »

Morris se croyait à peu près certain que, si l’on parvenait à persuader aux Acadiens qu’on les déporterait au Canada, ils se soumettraient à leur sort. Il avait, selon nous, raison. Mais cela ne montre-t-il pas que cette population n’était pas et ne pouvait devenir rebelle, à moins de circonstances extraordinaires dépendant de ses gouvernants ? Car, remarquons-le bien, — et ceci est une nouvelle preuve que le travail de Morris fut préparé avant le siège de Beauséjour, — les Acadiens avaient alors leurs armes, puisque, en énumérant ses savantes combinaisons, il dit : « …mais s’ils résistent et qu’ils prennent les armes, il faudra employer toute la force militaire de la colonie pour les réduire. » Il n’aurait sûrement pas parlé ainsi si les armes eussent été dès lors livrées.

Ainsi, nous pensons avoir démontré : premièrement, que ce document était antérieur au siège de Beauséjour et aux procédés de Lawrence ; deuxièmement, que Lawrence avait dès lors décidé la déportation. Mais, pour juger correctement de la détermination de Lawrence d’après cette pièce, il faut remonter, non à sa production ou à sa rédaction, mais à l’ordre de la préparer ; un document de cette longueur et de cette importance, comprenant une foule de détails minutieux, un recensement complet de la population, ne se fait ni en un jour ni en une semaine. En outre, l’idée qu’avait eue Lawrence, en chargeant Morris d’un pareil travail, n’avait pas dû sortir soudainement de son cerveau, comme un polichinelle de sa boîte : elle y était ou devait y être depuis longtemps ; il l’avait couvée lentement ; il avait mûri au dedans de lui-même les moyens de la réaliser. Par un enchaînement de faits que nous croyons indiscutables, l’on en arrive à la