Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je vivre et me dire, et me répéter, il n’est plus » ?

Une nuit passée à gémir, tant de trouble, d’agitation, et la fatigue du voyage épuisèrent ses forces ; dès le second jour de sa marche, elle fut obligée de s’arrêter dans un petit village : elle ne pouvoit supporter le mouvement de la chaise, elle s’évanouissait à tous momens. Madame de Ranci obtint enfin de sa raison, de sa complaisance, de son amitié, qu’elle prendroit de la nourriture et du repos. Un sommeil long et paisible la rafraîchit, la mit en état de continuer sa route le lendemain, et d’arriver à Clémengis le soir du second jour.

Plusieurs des gens du Marquis connoissoient Ernestine ; les premiers qui l’aperçoivent, courent l’annoncer à leur maître ; il ne peut les croire. Elle entre. Il la voit, il doute encore si c’est elle. Elle avance en tremblant, tombe à genoux devant son lit, reçoit la main qu’il lui tend, la serre faiblement dans les siennes, la baise, l’inonde de ses pleurs.

« Est-ce elle ? est-ce Ernestine, répétoit le Marquis, en l’obligeant à se lever, à s’asseoir près de lui : Quoi ! ma charmante amie daigne me chercher ! chère Ernestine ! quelle douce, quelle agréable surprise ! Ah ! je n’attendois point cette faveur précieuse ».

« Eh ! pourquoi, Monsieur, pourquoi ne l’attendiez-vous pas, lui demanda-t-elle du ton le plus touchant ? Me mettiez-vous au rang de ces amies que la disgrâce éloigne ? me croyiez-vous insensible, ingrate ? avez-vous oublié que vous êtes tout pour moi dans l’univers. Ah ! si ma présence, si mes soins, si les plus fortes preuves de ma tendresse peuvent adoucir vos peines, parlez, Monsieur, parlez, je ne vous