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douleur, je suis bien sûre de n’y songer jamais sans interêt ». Henriette s’efforçoit d’adoucir ses chagrins, de calmer ses inquiétudes : mais la situation d’Ernestine alloit devenir si fâcheuse, que les conseils et les soins de l’amitié ne pourroient plus rien sur son cœur.

M. de Maugis, ami des maîtres de la maison, arriva le matin du jour où tout le monde se disposoit à revenir à Paris. On lui reprocha de ne s’être point rendu à des invitations pressantes, on lui rappela sa promesse. Il répondit que l’événement, dont on devoit être instruit, l’excusoit assez. Tout le monde l’environnant alors, dix personnes l’interrogèrent à la fois. « Quoi, dit-il, d’un air surpris, vous ignorez le malheur du comte de Saint-Servains, celui de mon frère, et l’exil du marquis de Clémengis » ?

Ernestine entroit dans le salon ; ces paroles la glacèrent, elle resta debout près de la porte, s’appuya contre un lambris, et recueillit toutes les forces que lui laissoit le saisissement de son cœur, pour écouter M. de Maugis. « Oui, poursuivit-il, le comte de Saint-Servains est étroitement gardé, ses papiers sont enlevés, ses effets saisis. Mon frère avoit sa confiance, on s’est assuré de lui : un secret impénétrable dérobe la connoissance du crime qu’on leur suppose. Un homme, dont le génie et l’application rendoient l’administration si heureuse, dont le désintéressement est connu, dont l’affabilité gagnoit tous les cœurs, est noirci par l’envie : puisse-t-il confondre la calomnie, et revoir à ses pieds ses vils accusateurs » !