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M. de Clémengis se hâta de répondre à l’inquiète Ernestine. L’agitation de ses esprits, l’attendrissement de son cœur, ne lui permirent pas de mettre beaucoup d’ordre dans sa lettre. Il la remerciait d’une preuve si extraordinaire de ses sentimens ; il s’en plaignoit aussi, lui reprochoit doucement de l’avoir soupçonné d’un dessein qu’il ne formoit pas. « Ah ! comment avez-vous pu croire, lui disoit-il, que votre ami voulût être votre tyran ». Il terminoit sa lettre par des expressions tristes et vagues ; elles sembloient annoncer sa visite pour le soir ; il promettoit une confidence, elle expliqueroit ce qu’il n’osoit lui dire en ce moment, ce qu’il se trouvoit malheureux, bien malheureux de devoir lui apprendre.

Ernestine étoit avec madame de Ranci, quand on lui apporta la lettre de monsieur de Clémengis ; elle la prit en tremblant, la tint long-temps sans oser l’ouvrir ; une pâleur mortelle se répandit sur son visage. « Voilà l’arrêt de mon destin, dit-elle ; ô madame de Ranci ! si vous saviez… qu’ai-je fait ! que me dit-il ? Je suis perdue » !

Cette femme, ignorant le sujet de sa terreur, s’étonnoit de la consternation où elle la voyoit. Ernestine rompit enfin le cachet, et portant des regards timides sur ces caractères chéris, des larmes de joie inondèrent bientôt cette lettre consolante, elle la pressa contre son cœur, la baisa mille fois. « Ô mon respectable ami ! pardonne-moi, répétoit-elle, non, je ne devois pas te soupçonner ». Découvrant alors à madame de Ranci la cause de son effroi, elle fit passer dans l’âme de son amie, une partie des mouvemens qui affectoient la sienne.