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porter ses idées au-delà du bonheur qu’il s’étoit promis : mais un amour avoué peut-il se contenir dans les bornes étroites que l’amitié prescrit ? Un désir satisfait élève un désir plus ardent encore ; les souhaits se multiplient, les vœux s’étendent ; une grâce reçue ouvre le cœur à l’espérance d’une grâce plus grande ; l’espace immense qui sembloit éloigner un point à peine aperçu, disparoît insensiblement, et la pensée se fixe sur l’objet qu’on n’osoit même entrevoir.

Libre de prolonger ses visites, de passer une partie du jour auprès d’Ernestine, le marquis de Clémengis montra de l’humeur. La présence continuelle de madame de Ranci le gênoit et son attention à ne pas quitter sa jeune amie, la rendoit insupportable à ses yeux. « Falloit-il accoutumer cette femme à vous suivre avec tant d’affectation, disoit-il à Ernestine, à ne jamais vous perdre de vue ? exigez-vous d’elle cette importune assiduité ? me craignez-vous ? avez-vous cessé de m’estimer ! quoi ! des précautions contre moi ! est-ce vous, est-ce Ernestine qui me laisse voir une défiance injurieuse ? Que de froideur ! de réserve ! non, votre amitié n’est plus aussi tendre. Ah ! qu’est devenu ce temps, cet heureux temps, où, dans ces mêmes lieux, vous accouriez au-devant de mes pas avec une joie si vive ! où votre bras s’appuyoit sur le mien, où nous parcourions ensemble toutes les routes de ce bois où vous vous plaisiez tant ! Ô ma chère amie, il est donc vrai que vous êtes changée » ?

Ces reproches touchoient Ernestine, pénétroient son cœur, lui arrachoient des larmes et jamais la plus légère plainte : elle supportoit la triste unifor-