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se reprochant bientôt cette apparente négligence, il couroit la chercher, s’enivroit du plaisir de la regarder, et lui trouvant un air triste, abattu, il s’accusoit de cruauté, se demandoit comment il avoit pu l’affliger, élever un mouvement de douleur dans cette âme sensible.

La tendre fille n’osait se plaindre de lui ; devenue timide, elle rougissoit de son trouble et s’efforçoit de le cacher ; mais ses regards languissans, ses soupirs, ses questions inquiètes, découvroient la crainte de n’être plus aimée. Perdant de vue tous ses projets, le Marquis s’occupoit uniquement du soin de la rassurer ; il s’abandonnoit à la douceur de lui parler de ses sentimens : et lui rappelant ces temps où, libres de s’entretenir, ils passoient ensemble des heures si délicieuses, il sembloit lui reprocher d’avoir cherché des lumières inutiles à son bonheur : « Ah ! pourquoi, lui disait-il, avez-vous appris à me craindre, à vous défier de vous-même » ?

Touchée de ces discours, attendrie par ses propres idées, Ernestine se taisoit, pleuroit, et regrettoit peut-être sa première simplicité. Trois mois s’écoulèrent sans apporter aucun changement dans sa situation : au retour du printemps, le Marquis se disposa à la quitter, pour se rendre à son régiment ; l’un et l’autre sentirent vivement l’approche de cette séparation ; leurs adieux furent longs et tendres, ils pleurèrent tous deux ; et loin de s’exhorter mutuellement à s’aimer moins, ils se répétèrent mille fois qu’ils s’aimeroient toujours.

Peu de temps après le départ de M. de Clémengis,