Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quis l’accompagnoit quelquefois, mais il se permettoit rarement d’aller seul à l’abbaye. Depuis l’instant où il s’étoit déterminé à remettre Ernestine sous la conduite d’Henriette, il s’attachoit à combattre sa passion ; dans ses principes, il ne pouvoit la rendre heureuse, sans risquer le renversement de sa fortune, manquer aux égards dus à son oncle, même à une grande famille dont il lui ménageoit l’alliance. On examinoit alors l’affaire ancienne et importante d’où ses espérances dépendoient, le jugement en étoit encore incertain. Si M. de Clémengis perdoit à la fois son procès et la faveur de son oncle, réduit à un revenu médiocre, forcé de quitter le service, d’abandonner la cour, de vivre loin du monde, savoit-il si ses désirs, affoiblis par la possession, ne s’éteindroient pas ? si la constance de ses sentimens rendroit ses plaisirs durables ? si les douceurs de son mariage effaceroient le souvenir amer de tant de sacrifices faits à l’amour ? Qui l’assuroit de penser long-temps comme il pensoit alors ? peut-être un jour, injuste dans ses regrets, cesseroit-il d’aimer l’innocente cause de sa ruine ; peut-être oseroit-il l’accuser de sa propre imprudence, rejeter sur elle l’amertume de ses chagrins, la rendre malheureuse, et lui ravir jamais cette paix, ce bonheur que lui-même s’était plu à lui assurer.

Ces réflexions l’affermissoient dans la résolution de résister à son amour, de ne plus se permettre des chagrins qui l’entretenoient : il essayoit ses forces, se faisoit une violence extrême pour laisser passer plusieurs jours sans voir Ernestine, sans lui écrire ; mais