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lui inspirer une passion qui la met dans la cruelle necessité d’être coupable ou malheureuse » !

« Ce dernier reproche me touche, reprit le Marquis, je le mérite, je me le fais souvent à moi-même. Dans la position d’Ernestine, dans la mienne, je ne devois, ni nourrir mon penchant, ni exciter en elle une passion qui ne pouvoit devenir heureuse sans qu’un de nous ne fît à l’autre un trop grand sacrifice. Mais ai-je tenté de la séduire ? l’ai-je trompée par d’éblouissantes promesses ? lui ai-je donné de fausses espérances ? ai-je abusé de sa crédulité ? enfin, ai-je échauffé son cœur par des discours passionnés ? me suis-je seulement permis l’aveu de mes sentimens ? Content du plaisir d’aimer, charmé de la douceur de plaire, je jouissois d’un bonheur inconnu, peut-être, au commun des hommes ; Ernestine le partageoit ! Ah ! Mademoiselle, de quel bien vous nous privez tous deux, par le fatal éclaircissement que vous venez de lui donner » !

Mademoiselle Duménil, un peu embarrassée de cette espèce de reproche, ne voulut pas laisser penser à M. de Clémengis, qu’un zèle officieux ou indiscret l’eût engagée à pénétrer le fond d’une intrigue où il étoit intéressé. Elle lui apprit la rencontre qu’elle avoit faite la veille, et ne cacha rien de ce qui venait de se passer entre Ernestine et elle.

« Je consens à vous laisser connoître tous mes secrets, Mademoiselle, reprit le Marquis ; je ne conteste pas vos droits sur une jeune personne dont vous avez pris soin pendant plusieurs années. En la retirant d’un état au-dessous de la médiocrité, j’ai