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Jamais le Marquis n’avoit passé des momens si agréables ; la douceur de s’entretenir familièrement avec une fille de seize ans, belle sans le savoir, modeste sans affectation, amusante, vive, enjouée ; à laquelle son rang, sa fortune, ou son crédit n’imposoient aucun égard, qui laissoit paroître une joie naturelle à son aspect, dont l’innocence et l’ingénuité rendoient tous les sentimens libres et vrais : être assis tout près d’elle, la nommer sa maîtresse, lui voir prendre une espèce d’autorité sur lui ; s’empresser à la contenter, à lui plaire sans en avouer le dessein, se flatter d’y réussir ; c’étoit pour le marquis de Clémengis une occupation si intéressante, qu’insensiblement il devint incapable de goûter tous ces vains amusemens dont l’oisiveté cherche à se faire des plaisirs.

Madame Duménil, que l’état fâcheux de son mari forçoit à rester chez elle, s’aperçut de l’amour du Marquis ; elle lui montra une humeur complaisante, eut de longs entretiens avec lui, gagna sa confiance, entra dans ses vues, et contente de sa générosité, elle commença à traiter Ernestine comme une personne dont elle se reprochoit d’avoir long-temps négligé la société. Elle lui fit de tendres caresses, voulut connoître ses besoins, ses désirs, s’empressa à les satisfaire. Chaque jour rendoit la situation d’Ernestine plus douce et plus agréable ; sa reconnoissance lui fit oublier la longue froideur de cette femme : ses bontés la touchèrent ; elle lui pardonna une légèreté d’esprit, dont, après tout, elle n’avoit jamais souffert : quand les défauts des autres ne nous nuisent pas, il est rare qu’ils nous choquent beaucoup. Comme ma-