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plus grand, & excite des feux plus ardans en ceux qui en ont ambition. Or celui que ceste folie a une fois saisi, n’est pas plus aisément guéri que l’autre. Et encor que ces vendeurs d’immortalité paient tous les jours la debte de mortalité, ce n’est toutefois pas assez pour retirer les mortelz de ce desir desreglé d’immortalité : car ilz croyent que peut estre ilz seront plus fortunez, & que ce qui a esté nuisible aux autres, peut estre leur proufitera ; de fait on ne peut nullement leur faire croire que cela surpasse la puissance & industrie humaine.

J’ay leu aux Annales de la Chine qu’un Roy des plus anciens a esté tellement surpris de cete manie, qu’il recerchoit la vie immortelle avec grand danger & interest de la mortelle. Ce qui arrive souvent, que pendant qu’ilz cerchent une vie plus longue, ilz la rendent plus courte. Ce Roy par l’artifice de quelques imposteurs s’estoit préparé un breuvage, lequel ayant beu il pensoit entierement se rendre immortel, & ne pouvoit par aucun bon conseil ny raison d’un sien intime ami estre destourné de l’avaler. Ce que voyant cet ami, ainsi que d’aventure le Roy eut un peu destourne la teste, il prend secrettement le gobelet, & avale vistement ce breuvage. Le Roy soudain se met en colere, & ayant desja tiré son espee s’aprestoit pour le tuer, parce qu’il luy avoit desrobé le breuvage d’immortalité. Mais l’ami respondit sans crainte ; Et quoy pensez-vous qu’ayant beu ce breuvage d’immortalité on puisse encor arracher la vie ? Et en vérité si elle se peut oster, je n’ay commis aucun crime, car je ne vous ay pas desrobé l’immortalité, mais je vous ay delivré de tromperie. Ce qu’ayant dit aussitost le Roy s’appaisa, & loua la prudence de son amy, par laquelle il estoit retiré de son erreur. Or encor que les Chinois n’ayent jamais manqué d’hommes sages, qui ont tasche de nettoyer ses opinions des hommes de ces deux maladies d’esprit, que j’ay appellées folies ; ilz n’ont toutefois jamais peu empescher qu’elles n’ayent rampé plus avant, & ne soyent maintenant plus grandes qu’elles ne furent jamais, descouvrans cete peste qui en a infecté plusieurs par la contagion du mal.