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le lictiere il estoit porté, car on en portoit plusieurs. Vous eussiez dit qu’il marchoit non parmi des subjectz, mais parmi des ennemis tres-alterez du sang Royal.

Ceux qui sont nez du sang Royal, encor que comme j’ay dit cy dessus, ilz soient tous entretenus aux despens du thresor public, toutefois estant maintenant multipliez au nombre de soixante mille. & s’augmentant journellement, ilz sont à tresgrande charge à la Republique. Car d’autant qu’ilz sont tous reculez des charges publiques, il sont tous oisifz, & addonnez à une vie libertine, & quand ilz peuvent se portent inconsiderement à de plus grandes insolences. Le Roy se garde d’iceux non autrement que des ennemis : car ilz ont tousjours des gardes, & ne peuvent pas sortir de la ville, qui est assignée à un chascun pour sa demeure, sans permission du Roy : s’ilz le font, ilz font subjectz à des grandes punitions. Il n’est permis à aucun d’eux de demeurer aux villes Royalles de Pequin, & Nanquin.

Il ne semblera pas estrange à aucun que ceux qui ne se fient pas à leur citoyens & parens se défient des estrangers, soit qu’ilz viennent des lieux voisins ou des provinces plus esloigneez, desquelles ilz n’ont aucune cognoissance qu’obscure & fausse, qu’ilz apprennent de quelques-uns qui viennent en leur Royaume pour offrir les devoirs de subjection. Les Chinois ont honte d’apprendre quelque chose des livres des estrangers, ayans opinion que toutes les sciences se trouvent parmi eux seulz ; ilz tiennent & appellent tous les estrangers ignorans ou barbares. Et si quelquefois en leurs escris il se fait mention des estrangers, ilz en parlent de telle sorte comme si sans doute ilz n’estoient pas beaucoup differens des bestes brutes. Or tous les characteres avec lesquelz ilz dénotent ce nom des estrangers, sont quasi composez de lettres de bestes, & à peine les daignent ilz nommer d’un nom plus honorable que des diables.

Et si les Ambassadeurs des Royaumes voisins viennent pour faire offre de leur subjection au Roy, ou pour payer le tribut, ou pour traicter quelque autre affaire, à peine pourroit-on croire avec combien de soupçon ilz sont traictez. Car encor que de tout temps immémorial ilz aient esté leurs amis, neantmoins ilz les meinent prisonniers par tout le chemin, & ne leur laissent voir aucune chose. Ilz sont fermez sous plusieurs clefz dans l’enclos du palais des estrangers, comme dans des estables de bestes. Il ne leur est jamais permis de voir le Roy. Ilz traictent de leurs affaires avec peu de Magistratz. Mais hors des confins du Royaume il n’est permis à aucun, si ce n’est à certain temps & lieu, de negocier avec les estrangers ; ceux qui sont autrement sans permission publique, sont griefvement punis.