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Ilz commettent une autre sorte de cruauté ez provinces Septentrionales à l’endroit des enfans masles, qu’ilz chastrent en grand nombre, à fin qu’ilz puissent estre receus au nombre des serviteurs domestiques du Roy. Car nulz autres que ceux-cy servent le Roy, ni sont de son conseil, ny parlent à luy : voire mesme quasi tout le gouvernement du Royaume est remis entre les mains de ces demi-hommes, & il y a bien dix mille de ces chastrez dans l’enclos du palais, tous pauvres, vilains, sans lettres, & nourris en perpetuelle servitude ; finalement ilz sont sotz & hebetez, & non moins lasches, incapables & ineptes pour comprendre quelque chose serieuse que ce soit, tant s’en faut qu’ilz la puissent mettre à fin.

Encor que les loix establies pour la punition des delictz ne soient pas plus severes que de raison, je croy neantmoins qu’il n’y en a pas moins qui sont par les Magistratz meurtris contre les loix, que de ceux qui perdent la vie deue à la rigueur d’icelles. Ce qui provient de la coustume envieilli de ce Royaume. Car les subjectz sont par les Magistratz quelz qu’ilz soient (sans aucune forme de procez ou de jugement) fouettez en cete sorte toutes les fois qu’il vient en fantasie à quel qu’un d’eux. Ilz sont couchés tout le long du corps, le ventre contre bas en un lieu public, & les ministres les frappent sur les cuisses nues au dessus des genoux, au dessous des fesses avec un roseau tres-dur fendu par le milieu, espais d’un doigts, large de quatre, & long de deux aulnes. Ces bourreaux empoignans le baston des deux mains les battent tres-rudement, encor qu’on ne leur donne que dix, & au plus trente coups, car souvent la peau est dechirée dés le premier coup, & à aucuns les morceaux de chair sont arrachés, & y en a beaucoup qui meurent de cete bature ; & plusieurs aussi rachetent leur vie à grand’somme d’argent contre tout droit & equité à la volonté de ces exacteurs, & concussionaires. Car le desir de commander des Magistrats est si grand, qu’à peine quelqu’un peut estre maistre de ses biens, ains tous sont en continuelle crainte que leurs biens ne leur soient ravis par quelque calomnie. A cecy faut adjouster que comme ce peuple (ainsi que j’ay dit cy dessus) est tres-addonné aux superstitions, aussi est-il peu amateur de la verité ; car il ne faut par qu’aucun se fie en un autre sans grande prudence & consideration.

Les Roys espouventé de cete mesme crainte en ce temps se retiennent de sortir en public : & quand anciennement ils sortoient du palais, ilz ne l’osoient faire qu’en s’asseurant par mille industries ; car toute la Cour estoit en armes, disposant des gardes par les rues où il falloit passer, & aussi en celles par lesquelles il falloit retourner aux premieres : & non seulement il ne se laissoit pas voir, mais on ne sçavoit pas en quelle