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jusqu’à present. Et peut-estre feront-ilz le mesme jugement de l’harmonie de noz voix, quand ilz en auront compris l’art, & les accords, qui jusques icy n’ont pas esté entendus dans noz Eglises, d’autant qu’il n'y a encores quasi que des commencemens muets en toute chose. Cela provient, à mon advis, de la sincerité de l’esprit des Chinois, qui preferent aisement les choses estrangeres aux leurs propres, quand ilz jugent qu’avec raison elles doivent estre preferées. Car je croy que leur orgueil provient de l’ignorance des choses meilleures, & de la barbarie des peuples voisins.

A peine ont ilz des instrumens pour marquer les heures. Ceux qu’ilz ont se mesurent, ou avec l’eau, ou avec le feu. Ceux d’eau sont comme des grands vaisseaux, qui par l’esgout proportionné de l’eau servent d’horloge. Ceux de feu sont faictes de cendres odorantes, & ressemblent aux mesches de noz canons. Ilz en font aussi quelques autres avec des roues que le sable faict tourner comme l’eau ; mais le tout n'est qu’ombre au regard de noz artifices, & le plus souvent ilz font des grandes fautes en la proportion de la mesure du temps. Ilz ne cognoissent autre instrument de Mathématique, que celuy qui prend son nom de l'Equateur, ilz n’avoient pas mesme appris de le poser selon la situation des lieux.

Ilz sont fort adonnez aux comédies, & surpassent en cecy les nostres, si bien qu’un nombre infini de jeunes hommes est occupé à cet exercice. Aucuns d’entr'eux voyagent où il leur plaist par tout le Royaume ; les autres s’arrestent aux lieux plus peuplez, & sont admis aux recreations publiques, & priveez. Mais c’et entierement la lie du Royaume, & l’on n’en trouve pas aisement d’autres plus difformes de vices ; car plusieurs enfans achetez à prix d’argent par ces Archi-boufons, sont instruits dés leurs premiers ans à danser, faire les basteleurs, contrefaire leurs voix. Toutes ces comédies sont presque histoires ou fictions anciennes, & s’en escrit du tout peu de nouvelles. On les admet communement aussi aux plus honnorables banquets. Ces basteleurs estans appellez, viennent preparez à representer quelle que ce soit des communes, parquoy ilz portent le livre de leurs comédies au conviant, pour choisir celle qu’il luy plaira de voir. Et les conviez en mangeant, & beuvant regardent avec tant de plaisir, qu’ayant souvent demeuré dix heures à table, ilz consument par fois autant de temps apres le repas à regarder, cependant qu’on allonge une commedie de l'autre. Ils prononcent quasi tout en chantant, & proferent à peine quelque chose à la façon de parler du vulgaire.

L'usage des cachets entre les Chinois est noble & fort fréquent. Ilz