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Des arts mechaniques des Chinois,


CHAPITRE IV.


VEu qu’il conste par l’opinion de tous, & l’experience mesme, que ce peuple sur tout autre est industrieux ; on comprend aisement par le chapitre précèdent, que tous les artz libéraux se retrouvent parmi iceluy ; puis qu’aucune matiere ne luy défaut, & que le salaire aussi esguillonne les espritz ; qui sont les deux choses, lesquelles ordinairement eslevent les artz à leur supreme degré. Je toucheray en ce chapitre quelque chose d’iceux ; & en quoy ilz semblent estre differens de noz artisans. Et premièrement, d’autant que les Chinois vivent à leur ordinaire fort mesnagerement, de la provient que les artisans accommodent leurs ouvrages non à la perfection de l’art, ains à la volonté des acheteurs. C’est pourquoy ilz ne les polissent pas tant, à fin qu’ilz en moderent le prix. De là aussi arrive qu’ilz sophistiquent la bonté de leurs ouvrages, se contentans de quelque beauté exterieure, ce qu’ilz font aussi plus volontiers quand ilz travaillent pour les Magistratz ; car ilz sont payez d’iceux selon leur volonté, & non selon le merite de l’œuvre, & sont contre leur gré appeliez au travail.

En l’architecture ilz sont du tout inférieurs aux nostres, non moins en la beauté des bastimentz, qu’en la durée. En quoy on pourroit douter qui des deux est plus à louer. Car les Chinois mesurent la structure de leurs maisons à la briefveté de la vie humaine, pour ce qu’ilz bastissent pour eux, & non pour autruy : mais les nostres, selon leur ambition naturelle, aspirent à l’Eternité. C’est pourquoy ilz ne peuvent comprendre ny se persuader la splendeur de noz maisons, soit publiques, soit particulières. Et s’ilz entendent dire quelquesfois, que noz bastimentz durent souvent plusieurs siecles, voire quelques uns mille ans, les autres deux mille, ilz sont estonnez. Quand ilz nous demandent la cause de cete durée, nous la rapportons aux fondementz hautz & solides, dont la profondeur puisse soustenir le reste de la masse du bastiment ; les Chinois au contraire n’en creusent aucuns. Seulement ilz posent de grandes pierres sur la terre batue ; ou s’ilz en creusent quelques uns, à peine sont ilz coustumiers de fouir quelques coudeez, tant grandes que doivent estre les maisons, ou tours qu’ilz prétendent bastir. Et ainsi rarement durent-ilz un siecle, non pas mesme les rampartz, qu’il ne les faille reparer de nouveau. A ceci faut adjouster