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& ses enfans Jacob & Esau, & se baissant il fit la reverence à l’image, disant premierement qu’il n’avoit pas accoustumé d’adorer les images, mais toutefois qu’il ne pouvoit s’abstenir de faire honneur à ces Peres de sa nation. A chaque costé de l’autel estoient mises les effigies des quatre Evangelistes ; le Juif donc demande si c’estoient là quatre des enfans de celuy qu’on voyoit sur l’autel : le Pere dit qu’ouy, pensant qu’il parloit des douze Apostres ; car l’un croyoit de l’autre ce qui n’estoit pas. De là ayant mené cet homme en sa chambre, il commence de l’interroger plus attentivement qui il estoit, & d’entendre peu à peu qu’il estoit de l’ancienne loy. Or quant à luy il ignorait le nom de Juif, mais toutefois il confessoit qu’il estoit Israelite. D’où l’on peut juger que la separation des dix tribus esparses çà & là est passée jusqu’à l’extrémité de l’Orient. Il vid en après la Bible Royale de l’impression de Plantin, & comme il l’eust ouverte, il recognut les characteres Hebrieux, encor qu’il ne les sceut pas lire.

Les nostres entendirent par cetui ci, qu’en la ville Metropolitaine susdite, il y avoit dix ou douze familles d’israelites, & une tres belle Synagogue, qu’ilz avoient dernièrement bastie pour dix mille escus d’or, qu’en icelle ilz gardoient desja depuis cinq ou six cens ans en grande reverence les cinq livres de Moyse, sçavoir le Pentateuque en volumes confus. il asseuroit qu’en la ville capitale de la Province de Chequiam nommée Hamcheu, il y avoit beaucoup plus de familles avec leurs Synagogues. Et qu’en autres lieux il y en avoit aussi plusieurs, mais sans Synagogues, d’autant que peu à peu ilz mouraient tous.

Il racontoit beaucoup d’histoires du vieil Testament, semblables à celles d’Abraham, Judith, Mardochée, Hesther ; mais en prononçant les noms ilz estoient d’accens assez differens des nostres, & peut estre il approchoit plus de l’antiquité. Car il appelloit Hierusalem Hierusoloim, & le Messie Moscie. Il asseuroit que quelques-uns de sa tribu sçavoient parler la langue Hébraïque, & entre iceux son frere : quant à luy à cause que dez son enfance îl s’estoit addonné aux lettres Chinoises, qu’il avoit mesprisé cete estude, & donnoit assez à entendre que d’autant qu’il s’adonnoit serieusement aux sciences Chinoises, & préceptes des lettrez il avoit esté jugé indigne des assemblees des siens par le maistre de la synagogue, dequoy il ne se soucioit gueres, s’il aqueroit le degré de docteur car les Sarazins font le mesme, & ne craignent plus alors le prelat de leur secte.

Celui là mesme donna advis au Pere des reliques des Chrestiens, dont nous parlerons tantost : maintenant seulement des Juifs. Trois ans donc apres : car on n’a pas peu plutost, le Pere Matthieu Ricci envoia