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on compte plusieurs milliers de familles dispersées en chaques provinces, & villes principales. llz ont en icelles leurs temples edifiées à grands frais, ausquelz ils font leurs prieres accoustumees, circoncisent les enfans, & font leurs autres cérémonies. Mais (au moins selon que jusqu’à present nous avons peu comprendre) ilz ne publient, ni se soucient de publier leurs inepties, ains quant au reste ils vivent entierement selon les loix Chinoises, si ce n’est qu’ils ne mangent pas de porc, & sont aussi fort ignorans de leur doctrine, & la pluspart mesprisez par les Chinois. Maintenant neantmoins on les tient pour naturels du pays & les Chinois ne prennent aucun mauvais soubçon d’eux comme des autres estrangers. Voire mesmes ilz sont admis sans aucun esgard aux estudes des lettres, & aux degrez & Magistratures publiques. Or il y en a plusieurs d’iceux lesquelz s’ilz acquièrent le degré des lettres Chinoises, quittent aussi la loy de leurs Ancestres, & ne retiennent du tout rien d’icelle que l’abstinence de la chair de porc, de laquelle ilz ont plustost naturellement horreur, qu’ilz ne s’en abstiennent par consideration de religion.

Nous avons aussi remarqué que les années passées l’ordure des Juifs s’est ensemble coulée en ces Royaumes ; cela nous fut principalement cognu parce que je vous conteray maintenant. Nostre Compagnie ayant ja demeuré quelques ans en la cour de Pequin, un certain Juifs de nation & profession vint visiter le Pere Matthieu Ricci, esmeu par la renommée d’iceluy, duquel & de ses compagnons il avoit leu beaucoup de choses en certain livre traictant de l’Europe escrit par un certain Docteur Chinois. Iceluy né en la Province à Honan, en la ville principale de Chaisamfu, estoit surnommé Ngay, & ayant esté jà enroollé en l’ordre des Licentiez estoit venus à Pequin, pour se presenter aux examens coustumiers du Doctorat. Ce Juif donc d’autant qu’il avoit leu en ce livre que les nostres n’estoient pas Sarazins, & qu’ilz ne cognoissent pas d’autre Dieu, que le Seigneur du ciel & de la terre, il ne fit aucun doute que nous ne fissions profession de la loy Mosaïque. Estant donc entré en nostre maison, il disoit avec un visage aleigre qu’il estoit d’une mesme loy que nous. Et certes des yeux, du nez, & autres traicts de visage il avoit une apparence exterieure du tout différente de celle des Chinois.

Le Pere Matthieu Ricci le mene donc dans l’Eglise. Sur l’autel estoit l’image de la Mere de Dieu, & de l’enfant Jesus, que Sainct Jean Precurseur adoroit à genoux - Car c’estoit le jour de la feste S. Jean Baptiste: & d’autant que le Juifs ne doutoit aucunement de nostre profession, il creut asseurement que c’estoit l’effigie de Rebecca,