Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

spéculations plus ou moins honnêtes, ou des remèdes violents appliqués à des maux violents. Comme on ne peut pas ou on ne veut pas jeter les pauvres par-dessus bord, on les chasse au loin, sans souci de leur bien-être, de leur développement moral, et c’est ainsi que nous avons vu coloniser la Guyenne avec des maîtres de danse et des comédiens, et la Nouvelle-Hollande avec des bandits ; mais le jour n’est pas loin, où, par la force des choses, le déplacement des races s’effectuera régulièrement et se transformera en une conquête pacifique et permanente. Les nouvelles générations dans leur épanouissement reproduiront alors le phénomène sublime de ces bananiers des Indes, dont les branches, courbées en arceaux, retombent à terre, y prennent racine, et couvrent le sol d’un vaste bouquet d’arbres, de fruits et de fleurs issus d’un même germe.

Telle est, d’ailleurs, la direction actuelle des esprits. Les hommes se tendent les bras de toutes parts : les bateaux à vapeur ont transformé l’Océan en un lac qu’ils traversent d’un coup d’aile : et si l’Économie politique a quelque droit à la reconnaissance des peuples, c’est pour avoir préparé et conçu ces résultats majestueux. Elle s’est donné la mission de répandre le bien-être à larges doses sur les populations, car elle sait que la civilisation matérielle est la base nécessaire de la civilisation morale et intellectuelle. C’est par la vie physique, en effet, que les sociétés plongent dans le sol, s’y assoient, et vouloir des arts et des institutions élevée avant la certitude de l’existence matérielle, c’est vouloir l’arbre sans les racines, les fleurs et les fruits sans le tronc, c’est vouloir tout simplement l’absurde. Or, cette existence assurée, digne, la science économique peut et veut l’octroyer au travailleur ; car elle donne la palme aux industries qui marchent en avant, aux réformes qui agrandissent la sphère du travail et élèvent conséquemment la rémunération de l’ouvrier ; car elle vise à alléger les charges publiques, à instaurer de toutes parts les idées de fraternité et de paix, à développer le crédit, à multiplier les richesses par leur circulation rapide et libre. C’est la dot qu’elle apportera à l’humanité le jour où on aura la bonne foi de ne plus la taxer d’impuissance en lui refusant les moyens de propager et de réaliser ses doctrines, comme un cerveau que l’on paralyserait et à qui on dirait malicieusement de penser, de créer, de gouverner.

Une science qui conçoit de telles œuvres ne manque pas de grandeur à coup sûr, et il n’a été donné qu’à de rares intelligences de s’y faire une belle place.

Ricardo fut du nombre de ces intelligences d’élite.

Alcide Fonteyraud.