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sans discipline, sans régularité. Elles voient l’horizon ouvert devant elles et, poussées par un vague instinct de conquête et de fortune, elles s’élancent en avant, peu soucieuses des riches territoires qu’elles laissent derrière elles. C’est ainsi que les colonisations américaines, au lieu de se répandre régulièrement comme une murée vivante d’hommes et d’idées, se sont éparpillées au hasard sur toute la surface du nouveau continent, délaissant des districts d’une incomparable fécondité pour couvrir d’âpres et stériles solitudes. C’est ainsi que la côte orientale, depuis New-York jusqu’aux Florides embaumées, n’a offert aucun défrichement nouveau depuis vingt ans, et que l’abandon plane comme un sacrilège sur Mount-Vernon, la demeure oubliée d’un homme qui fut à lui seul aussi grand qu’un peuple, du général Washington ; enfin, c’est ainsi que s’expliquent les émigrations d’Allemands, d’Alsaciens, d’Irlandais qui laissent derrière eux tant de riches vallées pour les plaines volcaniques ou les déserts glacés de l’Orégon et du Canada. Il est fort douteux, d’ailleurs, que le propriétaire attende, pour prélever la rente, que, par obéissance à un système, des terrains nos 2 ou 3 aient été défrichés à frais énormes. Et cela est si vrai que les partisans les plus acharnés de la doctrine des frais de production ne peuvent nier que, dans le cas même où toutes les terres d’un pays seraient d’une fertilité égale, la rente naîtrait en vertu du droit inhérent à la propriété.

La terre n’est, en effet, qu’un capital comme tous les autres, mais un capital en qui réside un monopole puissant et considérable ; et on aura beau faire, celui qui possède une terre dont la culture paraît profitable ou nécessaire, — cette terre fut-elle frappée de stérilité comme le champ maudit des légendes arabes, ou simplement comme ces rochers où croît le salicorne et dont parle Adam Smith, — cherchera à en tirer un revenu représentant la valeur de son monopole. Peu importe dès lors que l’excédant des frais de production sur les terres pauvres imprime un mouvement ascendant à la rente des propriétés de premier ordre ; le fait est qu’une rente existe poulies plus humbles catégories, et que cette rente doit se retrouver inévitablement dans le prix de vente. Qu’on arrange les événements à sa guise, qu’on se construise une société de fantaisie docile aux formules du maître ; on ne pourra nier cette conséquence dernière vers laquelle tout nous entraîne : à bas de l’échelle économique se trouvent encore des individus nantis de terres et qui exigent la rançon de leur monopole.

Nous faisons, comme on voit, bon marché de tout ce qui n’est qu’objections de détail. Nous voulons ne pas tenir compte de l’influence des perfectionnements agricoles : nous voulons oublier ce fait, fort grave cependant, que si les machines les moins productives avaient toujours réglé la valeur des choses, nous ne nous trouverions pas en face d’un abaissement général de tous les prix, — la terre n’étant elle-même, comme l’avoue Ricardo, qu’un assemblage de machines de forces différentes ; — nous négligerons l’assertion de Smith relativement au profit des mines qu’il dit dé-