Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les propriétaires fonciers engagent la législature à prohiber l’importation du blé. A-t-on jamais entendu parler d’une loi en Amérique ou en Pologne qui défendît l’importation des produits de l’agriculture ? La nature y a mis un obstacle insurmontable en rendant la production de ces denrées beaucoup plus facile dans ces pays-là que dans les autres.

Comment donc peut-il être vrai « qu’à l’exception du blé et d’autres substances végétales, qui sont entièrement le fruit de l’industrie de l’homme, tous les autres produits naturels, le bétail, la volaille, le gibier, les fossiles et les minéraux utiles, etc., renchérissent naturellement à mesure que la société fait des progrès ? » L’erreur du docteur Smith, dans tout le cours de son ouvrage, consiste dans la supposition que le blé a une valeur constante qui ne peut jamais monter, quoique la valeur de toutes les autres choses puisse augmenter. Selon lui, le blé a toujours une même valeur, parce qu’il sert toujours à nourrir le même nombre d’individus. On aurait autant de raison de soutenir que le drap ne change jamais de valeur, parce qu’avec une quantité donnée, on peut toujours en faire le même nombre d’habits. Qu’y a-t-il de commun entre la valeur et la propriété de servir à la nourriture et aux vêtements[1] ?

Le blé, comme toute autre marchandise, a dans chaque pays son prix naturel, c’est-à-dire le prix que sa production exige, et sans lequel on ne pourrait pas le cultiver ; c’est ce prix qui règle le prix courant, et qui détermine s’il convient d’exporter du blé à l’étranger. Si l’importation du blé était prohibée en Angleterre, le prix naturel du blé pourrait y monter à 6 l. st. le quarter, pendant qu’il serait en France à la moitié de ce prix. Si alors on levait la prohibition d’importer du blé, il tomberait dans le marché anglais, non à un prix moyen entre 6 l. et 3 l., mais il y baisserait en définitive,

  1. M. Ricardo oublie la raison que Smith en donne. La tendance qu’a la population à s’accroître au niveau des moyens de subsistances, multiplie l’espèce humaine partout où la production dû blé augmente, et le travail humain, qui se multiplie en même temps, fournit le moyen de payer le blé. Il n’en est pas de même du drap. On aurait beau multiplier les habits, cela ne ferait pas naître un homme de plus pour les porter, tandis que le blé fait naître ses consommateurs. De là, pour cette denrée, une demande toujours à peu près proportionnée à la quantité offerte. Je dis à peu près, car il n’y a rien de rigoureux en Économie politique, — les besoins, les goûts, les passions, les craintes, et les préjugés des hommes, exerçant une influence sur toutes les appréciations, et n’étant point eux-mêmes des quantités rigoureusement appréciables. — J.-B. Say.