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naie, et les opérations de banque étaient, à cette époque, peu compris. La quantité de cette monnaie d’argent dégradée excédait la quantité de la monnaie d’argent dégradée qui serait restée en circulation, si la bonne monnaie avait seule eu cours, et par conséquent elle se trouvait non-seulement dégradée, mais encore dépréciée. Mais dans la suite, lorsque l’or devint moyen légal de paiement, et qu’on employa aussi des billets de banque dans les paiements, la quantité de monnaie dégradée d’argent n’excéda pas la quantité de la bonne monnaie d’argent nouvellement frappée qui aurait circulé s’il n’y avait pas en de monnaie dégradée d’argent ; c’est pourquoi, quoique cette monnaie fût altérée, elle ne fut pas dépré­ciée. L’explication qu’en donne M. Buchanan est un peu différente ; il croit que la monnaie du métal qui domine dans la circulation, est sujette à la dépréciation, mais que l’agent subalterne ne l’est pas. Sous le roi Guillaume, la monnaie principale qui était d’argent, fut par conséquent sujette à être dépréciée. En 1774, l’argent n’était plus que subsidiaire, et en conséquence il conserva sa valeur. La dépréciation des monnaies ne dépend cependant pas de ce qu’un des métaux est l’agent principal de la circulation, et l’autre un agent subsidiaire ; elle ne provient que de ce que la quantité d’un métal monnayé jeté dans la circulation est excessive[1].

  1. Toute cette longue explication se réduit à ceci : les échanges qui se font dans un pays exigent différentes coupures de monnaie, c’est-à-dire des pièces de petite valeur, soit pour les petits paiements, soit pour les appoints des gros. Tant que les petites pièces ne sont qu’en quantité suffisante pour ce genre de circulation, le besoin qu’on en a soutient leur valeur courante au niveau de leur valeur légale, quelque dégradées qu’elles soient par le frai. Ainsi quand les paiements se faisaient en or en Angleterre, on trouvait facilement une guinée pour 21 shillings en argent, quoique les shillings eussent perdu plus du quart de leur valeur intrinsèque. Leur valeur se soutenait par la même raison qui soutient celle de tout billet de confiance : parce qu’on trouve partout à les échanger à bureau ouvert. C’est en ce sens que Smith a dit que la valeur de la bonne monnaie soutient celle de la mauvaise.

    Mais si l’on mettait dans la circulation plus de cette monnaie dégradée que les besoins du commerce n’en exigent, alors on ne trouverait plus aussi facilement des personnes disposées à la rembourser à bureau ouvert, c’est-à-dire à vous donner en échange une bonne pièce. Il faudrait vendre cette monnaie dégradée avec perte ; c’est ce qui était arrivé en France lorsqu’on avait laissé se multiplier les coupures de billon au-delà de ce qu’il en fallait aux appoints. Les porteurs de cette monnaie de billon étaient obligés d’y perdre pour la changer en argent, et il fallut une loi pour borner à 1/40 de la somme totale la quantité de billon qu’on pouvait donner en paiement. Cette loi dégradait la monnaie tout entière comme aurait pu faire un alliage. — J.-B. Say.