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système mercantile, qui n’avait pour but que de faire hausser le prix des marchandises dans le pays, en repoussant la concurrence des produits étrangers ; mais ce système n’était pas plus funeste aux cultivateurs qu’aux autres classes de la société. En forçant les capitaux à prendre une direction qu’ils n’auraient pas autrement suivie, ce système diminuait la somme totale des produits. Le prix, qui se maintenait constamment plus haut, n’était pas dû à la rareté des produits, mais à la seule difficulté de la production ; et par conséquent, quoique les possesseurs de ces produits les vendissent plus cher, cependant, considérant la quantité de capital qu’il leur avait fallu employer pour les obtenir, ils n’en tiraient réellement pas de plus gros profits[1].

  1. M. Say pense que l’avantage des manufacturiers nationaux est plus que temporaire. « Un gouvernement, dit-il ; qui défend absolument l’introduction de certaines marchandises étrangères, établit un monopole en faveur de ceux qui produisent cette marchandise dans l’intérieur ; contre ceux qui la consomment ; c’est-à-dire que ceux de l’intérieur qui la produisent, ayant le privilège exclusif de la vendre, peuvent en élever le prix au-dessus du taux naturel, et que les consommateurs de l’intérieur, ne pouvant l’acheter que d’eux, sont obligés de la payer plus cher. » Lib. I, chap. 17.

    Mais comment peuvent-ils maintenir constamment leurs produits au-dessus de leur prix naturel, lorsque chacun de leurs concitoyens à la possibilité de se livrer au même genre d’industrie ? Ils sont protégés contre la concurrence des étrangers, mais non contre celle des nationaux. Le mal réel que ressent un pays par l’effet de ces monopoles, s’il est permis de leur donner ce nom, vient, non de ce qu’ils font hausser le prix courant de ces produits, mais bien de ce qu’ils en font hausser le prix réel et naturel. En augmentant les frais de production, ils sont cause qu’une portion de l’industrie du pays est employée d’une manière moins productive (Note de l’Auteur.)

    M. Ricardo me paraît avoir ici ; raison contre moi. En effet, quand le gouvernement prohibe un produit étranger, il ne saurait élever dans l’intérieur les bénéfices qu’on fait sur sa production au-dessus du taux commun des profits ; car alors les producteurs de l’intérieur, en se livrant à ce genre de production, en ramèneraient bientôt, par leur concurrence, les profits au niveau de tous les autres. Je dois donc, pour expliquer ma pensée, dire que je regarde le taux naturel d’une marchandise, comme étant le prix le plus bas auquel on peut se la procurer par la voie du commerce, ou par toute autre industrie. Si l’industrie commerciale peut la donner à meilleur marché que les manufactures, et si le gouvernement force à la produire par les manufactures, il force dès lors à préférer une manière plus dispendieuse. C’est un tort qu’il fait à ceux qui la consomment, mais ce n’est pas au profit de ceux qui la produisent. C’est sous ce point de vue que la critique de M. Ricardo est fondée ; mais la mesure que je combats n’en est que plus mauvaise : elle augmente la difficulté naturelle qui s’oppose à la satisfaction de nos besoins, et c’est sans profit pour personne. — J.-B. Say.