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Et en supposant même qu’une de ces mesures fût une mesure exacte de la valeur, elle ne le serait cependant pas de la richesse ; car la richesse ne dépend pas de la valeur. Un homme est riche ou pauvre, selon l’abondance des choses nécessaires ou d’agrément dont il peut disposer, et elles contribuent également aux jouissances du possesseur, que leur valeur échangeable contre de l’argent, du blé ou du travail, soit forte ou faible. C’est en confondant les idées de valeur et de richesse qu’on a prétendu qu’en diminuant la quantité des marchandises, c’est-à-dire des choses nécessaires, utiles ou agréables à la vie, on pouvait augmenter les richesses. Si la valeur était la mesure de la richesse, on ne pourrait pas nier cette proposition,

    Londres même, une guinée ne vaut ni plus ni moins que ce qu’elle valait il, y a dix ans. Or, cette certitude, on ne peut l’avoir.

    Rien n’est donc plus chimérique que de vouloir proposer une mesure des valeurs et un moyen de comparer deux valeurs, à moins que ces deux valeurs ne soient en présence. Alors, en effet, on peut les comparer : chaque chose a son prix courant, qui est là valeur que les circonstances du moment y attachent en chaque lieu. On peut donc dire qu’en un lieu, en un moment donné, une chose dont le prix courant est de cinq, dix, cent fois le prix courant d’une autre chose, vaut cinq fois, dix fois, cent fois autant que cette dernière. Alors toute espèce de chose peut servir de point de comparaison pour estimer la valeur d’une autre chose, pourvu que l’une et l’autre aient un prix courant. On peut donc dire qu’une maison vaut aujourd’hui cinq cent mille hectolitres de blé, aussi bien que 20,000 francs ; et si nous disons de préférence 20,000 francs, c’est parce que nous connaissons mieux en général la valeur de 20,000 francs, que celle de cinq cent mille hectolitres de blé, quoiqu’elle soit la même dans le cas supposé.

    En raisonnant sur l’Économie politique, on est obligé bien souvent de considérer un même objet à deux époques successives, comme lorsqu’on recherche l’influence de l’impôt sur la valeur d’un produit. Il faut se former une idée du produit avant l’impôt et après l’impôt ; mais comme cette valeur peut changer par d’autres causes ; comme la valeur du terme de comparaison, de l’argent, par exemple, peut varier aussi dans l’intervalle, il faut toujours sous-entendre, en parlant d’une cause qui agit sur quelques valeurs que ce soient, que l’on regarde l’action des autres causes comme semblable dans les deux cas. En disant, par exemple, que telle circonstance a fait monter le prix d’une chose de 2 francs à 3 francs, je suppose que la marchandise appelée franc n’a éprouvé aucune variation ; et si elle en a éprouvé, il est de droit qu’il faut faire à mon résultat une correction équivalente.

    Quoique cette restriction soit de droit, M. Ricardo, au commencement de son ouvrage, a eu soin de l’exprimer positivement.

    Ces explications m’ont paru nécessaires pour apprécier convenablement ce que l’auteur a dit et va dire sur le sujet de la mesure des valeurs. — J.-B. SAY.