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ne sache aucune recherche scientifique qui l’ait intéressé. » Ce qui ne veut pas dire que la sévère analyse des hommes et des choses n’ait de tout temps préoccupé Ricardo ; mais ce qui veut dire que ses études se firent sur le vif, sur la réalité avant de se faire dans les livres, et qu’il lui fallut le calme insouciant de l’opulence pour l’attacher à telle ou telle science.

Quoi qu’il en soit, lancé dans cette voie il ne s’arrêta plus. Son intelligence si longtemps contenue s’adressa à toutes les branches des connaissances humaines, les remua toutes et s’étendit dans cette forte gymnastique. Ainsi, on le voit retremper sa logique dans les mathématiques et s’initier aux sévères combinaisons de la géométrie. Puis, entraîné par l’étude des faits naturels, on le suit dans son laboratoire où il compose et décompose les corps, et où il demande aux atomes le secret des grandes métamorphoses du globe. Pendant des journées entières il se renfermait au milieu de ses riches collections de minéraux et de ses matras : faisant l’honneur de ce qu’il vient d’apprendre avec une joie toute naïve, qui sent fort son apprenti savant, et se délectant surtout dans des expériences sur l’électricité et sur la lumière. Portant jusque dans ces récréations austères l’esprit utilitaire que J. Bentham, philanthrope profond et incompris, avait mis à la mode, il démontrait par un essai, hardi alors, la possibilité d’employer le gaz pour l’éclairage des rues et des maisons. Et tandis que les savants se livraient entre eux et avec les marchands d’huile et les routiniers, menacés de voir plus clair, une guerre acharnée d’arguties et de quolibets, il se contentait pour tout argument d’installer des becs dans une de ses habitations, — répondant ainsi par la lumière même à ceux qui croyaient à l’impossibilité de l’obtenir. Le matin, il dirigeait les intérêts de son immense clientelle, le soir, il se consacrait à lui-même et à la recherche de quelque théorie nouvelle. Et comme pour prouver par un exemple saisissant que les facultés positives s’allient très-bien aux facultés artistiques, et qu’il n’est pas tout à fait essentiel de ne pas écrire gracieusement pour savoir la géologie ou les quatre règles, il se livrait avec joie à des études littéraires de l’ordre le plus élevé. Nous ne savons s’il a composé des quatrains comme l’auteur de la pluralité des mondes, des opéras comiques, comme l’austère Rousseau, des romans galants, comme le grave Montesquieu, des pages éclatantes de grandeur poétique, comme celles de Goëthe et de Cuvier, — tous deux génies positifs et sévères à ce qu’il nous semble ; mais nous savons que la lecture de Shakespeare le plongeait dans des ravissements infinis, et nous en concluons qu’il avait une de ces intelligences privilégiées qui comprennent l’art à l’égal de la science, et qui, mariant la terre et les cieux, savent que le compas d’un géomètre peut devenir une lyre ou un pinceau entre les mains de Pythagore et de Léonard de Vinci.

Le moment approchait cependant où après avoir remué toutes les sciences, il allait concentrer sa pensée sur celle dont l’étude devait remplir et