Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nent en parfait mépris les théoriciens. Comme tant d’autres ils voient la lettre, l’esprit leur importe peu, et ils seraient même désolés de savoir pourquoi ils ont raison. Ils s’obstinent à ne pas comprendre que la théorie c’est l’essence des faits, c’est la pratique d’hier, d’aujourd’hui, de demain, ramenée à un type immuable : c’est la force qui concentre des millions d’étincelles éparses pour en faire un flambeau, et qui, d’une poussière d’événements et de choses, fait un monument qui est la science. Offrez à certains individus un paratonnerre ; ils craignent la foudre et vous remercieront de votre présent : cherchez à leur expliquer les lois de l’électricité, et vous devenez un rêveur plus ou moins amusant. La vapeur est une force terrible qu’il est beau de pouvoir diriger. On la dirige en effet, il est des lois pour cela ; mais c’est le chauffeur qui est le héros : l’ingénieur n’est que le théoricien et c’est tout dire. Pesant des mondes avec la main, comme d’imperceptibles atomes ; traversant avec la pensée l’espace ou s’agitent les planètes dans une harmonie divine, Kepler, Leverrier, réclament des astres inconnus encore et ces astres nous apparaissent, dociles aux lois de l’astronomie : eh bien ! on nous accorde les astres, mais on continue à dédaigner les théoriciens qui les ont découverts. — N’est-il pas temps vraiment qu’on crée la théorie de l’absurde dont la pratique est si généralement répandue ?

Quoi qu’il en soit, la situation de l’Angleterre à l’époque où Ricardo se trouva mêlé à tous les drames financiers du Stock-Exchange, était de nature à faire réfléchir les esprits les moins philosophiques. On était alors entraîné dans ce tourbillon de victoires, de défaites, de remaniements politiques, de dépréciation monétaire, d’emprunts que nous avons essayé d’esquisser et qui voulait des penseurs et des économistes de vingt ans comme des généraux adolescents. David Ricardo dut se demander si les intérêts les plus graves de la société étaient condamnés fatalement à ces convulsions ruineuses, et si la science n’avait pas pour les en préserver des formules salutaires. Le supposer indifférent au travail rénovateur qui se faisait dans toutes les couches de la société, en bas pour monter, en haut pour ne pas descendre, ce serait lui supposer un égoïsme bien profond ou une pauvre intelligence, et la résolution qu’il prit de se séparer du culte de ses pères, après de longues méditations sur les destinées de l’homme et sur son avenir, prouve au contraire à quel point son imagination savait se dégager de la froide étreinte des chiffres. Ce coup d’œil ainsi jeté, non-seulement au delà du Stock-Exchange, mais encore au delà de ce monde, révèle assez les nobles préoccupations de son cœur et peint d’une manière caractéristique l’ami de Mill, de Malthus et de Say.

D. Ricardo devait bientôt mettre à l’épreuve l’estime dont on entourait, jeune encore, son caractère et sa supériorité incontestable.

Son père ne vit pas sans chagrin l’enfant de ses espérances déserter les portiques sacrés de la Synagogue. Il s’étonna, il s’affligea de voir, dans la pensée de son fils, un ressort et une indépendance qui ne s’arrêtaient