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effet sur le prix des salaires, et, dans d’autres cas, la hausse des salaires précède celle du blé ; quelquefois aussi l’effet est lent, et quelquefois, au contraire, assez rapide.

Il me semble que ceux qui soutiennent que c’est le prix des objets de première nécessité qui règle le prix de la main-d’œuvre, eu égard toujours à l’état particulier des progrès de la nation, admettent trop facilement qu’une hausse ou une baisse dans le prix des objets de première nécessité n’est suivie que lentement d’une pareille hausse ou baisse des salaires. Le haut prix des vivres peut provenir de causes très-différentes, et peut par conséquent produire des effets très-différents aussi. Il peut venir :

    l’attention du penseur, de l’économiste. Cette célérité qui suffit à l’auteur, dont la plume glisse sur ces redoutables problèmes, se traduit en une effrayante et longue agonie pour les classes sur lesquelles retombent les crises financières. Une heure, un jour, une année ne sont rien pour des théories scientifiques dont le domaine est l’infini, dans le temps, dans l’espace ; mais ils suffisent pour décider de l’agonie d’une famille, et de la ruine d’une industrie. À la longue, sans doute, l’équilibre entre les salaires et les subsistances tend à se rétablir, et, à prendre l’histoire de l’industrie par catégories de siècles, on verra croître parallèlement le niveau des salaires et celui des prix ; mais combien de transitions cruelles, cachées sous cette vaste enveloppe des siècles, viennent démentir l’assertion de Ricardo, combien de convulsions ont démontré la lenteur avec laquelle s’opère la hausse des salaires, et la rapidité avec laquelle, au contraire, ils s’abaissent dans les années de disette. Les faits ? abondent pour certifier ce douloureux martyrologe. Ainsi, pour chercher nos exemples dans la terre classique des crises industrielles, on a toujours vu, en Angleterre, les époques de grande cherté correspondre avec celles des salaires réduits et insuffisants. En 1804, le prix du blé étant de 44 sh. 10 s., le salaire des agriculteurs s’éleva à 8 sh. En 1817, les prix ayant atteint 100 sh. 5 d., les salaires s’arrêtaient à 12 sh. : — posant ainsi un accroissement de 260 % dans les prix, en face d’un accroissement de 33 % seulement dans les salaires. Adam Smith avait entrevu ce jeu fatal des salaires et des subsistances, et les événements l’ont mis]hors de doute avec une impitoyable rigueur. Il n’a manqué à Ricardo, pour rester convaincu de l’erreur où il s’est laissé entraîner, que d’assister au drame lugubre qui se joua en 1839-40-41, dans les districts manufacturiers de l’Angleterre. Il eût pu voir la réserve de la Banque descendre de 9,362,000 1. à 3,500,000 l., le nombre des faillites s’élever en quatre ans de 800 à 1,500, la taxe des pauvres grandir à Oldham de 159 %, à Bolton, de 304 %, enfin, le pays se dépeupler par l’émigration, la mort et les prisons. Quelques mois suffirent pour répandre ces calamités sur la puissante Albion, et il lui fallut cinq ans d’efforts, de sacrifices pour réparer ses forces, reprendre son aplomb et se remettre en marche avec son énergique mot d’ordre : All right ? Que deviennent, en présence de tous ces faits, les degrés très-différents de célérité que Ricardo affirme ici pour les combattre un peu plus loin ? A. F.