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marchandises de toute nature étaient considérés comme une prise légale, et passaient, par une honteuse résurrection du droit d’aubaine, aux mains de l’État. On allait même plus loin. Après avoir proscrit le commerce avec les concitoyens de Pitt, on proscrivait jusqu’aux liens du cœur et de l’esprit. Tout contact avec l’ennemi devenait une souillure, et l’on arrêtait dans tous les bureaux de poste les lettres écrites à des Anglais ou venant d’eux. Certes, jamais excommunication ne fut plus dure et plus habilement conçue. Napoléon, par ses deux décrets de 1806 et 1807, traçait autour de l’Angleterre un cercle étroit et fatal qui devait se resserrer encore à chaque triomphe de nos armes. C’était pour ainsi dire un immense filet dans lequel il emprisonnait un géant jusqu’à soumission définitive.

On sait trop bien à quel point les événements démentirent les vues et la logique de l’Empereur. Toute la force d’un homme ne peut arriver à convertir en crime, en attentat à une nation, ce qui n’est que l’exercice d’un droit naturel ; et il devait être fort difficile de faire entendre à un Prussien, à un Autrichien, à un Hollandais et même à un Français, qu’ils trahissaient leur patrie en consommant du sucre, du café, des tissus venus du dehors. Sans doute le continent avait été converti en un seul marché couvrant tous les pays attelés à la politique de la France ; sans doute les barrières intérieures, renversées d’un seul trait de plume, compensaient l’immense mur d’enceinte dressé sur les côtes et sur les frontières extrêmes de ce Zoll-verein improvisé ; mais ce n’est pas en un jour que se créent des besoins, des intérêts nouveaux, et que s’organisent des industries vivaces. La betterave devait faire attendre longtemps son sucre, la chicorée son prétendu café, et c’est à grands renforts de primes, de gratifications qu’on parviendrait à produire chèrement ce que l’Angleterre, créait sur une échelle grandiose et à des prix pour ainsi dire impossibles. Et puis les relations économiques ne font pas aussi volte-face sur le geste d’un conquérant botté, éperonné et triomphant. Elles se nouent avec lenteur, se dénouent de même, et tous les intérêts engagés dans le commerce extérieur, toutes les industries qui échangeaient leurs produits contre ceux des Indes, des Antilles, de Birmingham et de Manchester, devaient subir des perturbations profondes.

Aussi la révolte contre le système impérial fut-elle permanente et générale. Les gouvernements adhérèrent au blocus, mais tous les peuples s’évertuèrent à y contrevenir sourdement et sûrement. Le commerce extérieur prit un autre nom : il s’appela contrebande, mais continua à alimenter la consommation ; et il n’en résulta guère pour l’Europe, en définitive, qu’une immense déperdition de forces, suivie d’une immense déperdition de capitaux. La douane eut beau multiplier les obstacles, les formalités, et se faire inexorable, par obéissance à un maître inexorable, les contrebandiers, si poétiquement réhabilités par notre Béranger, perfectionnèrent leur industrie et se trouvèrent toujours en avance