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une solidarité politique et sociale, et qui, tout à coup, brisant ces liens salutaires, y substituent un antagonisme meurtrier, il faut reconnaître, dans ce revirement, une cause plus forte que des rivalités de tarifs. Nous avons vu, de nos jours, les balances de la diplomatie pencher de tel ou tel côté par le seul poids de quelques votes législatifs, mis au service de quelques manufacturiers puissants : nous avons vu l’union belge rayée sur un geste du comité Mimerel, et le Zoll-verein poussé vers des représailles sévères. Nous avons même pu entendre les prétendus organes de l’opinion nationale et du travail national prêcher une croisade douanière contre l’Angleterre, sous couleur de patriotisme ; mais ces clameurs, fort écoutées de nos jours, n’auraient pas même effleuré l’épiderme des conventionnels. Quelques mois avant le jour où commença à gronder ce tonnerre, dont les derniers éclats, solennels et sinistres, retentirent en 1815, Pitt promettait au parlement d’Angleterre une paix féconde avec notre pays ; et il ne fallut rien moins que le drame de 93 pour démentir ces salutaires prophéties. Les trônes et les aristocraties se crurent alors obligées de payer avec des millions de têtes la tête d’un roi, d’immoler tout un peuple aux mânes d’un homme ; — mais d’esprit prohibitif, il est impossible d’en découvrir la plus petite trace.

Quoi qu’il en soit, il fut décidé que l’on épuiserait tous les moyens de destruction et de ruine. L’Angleterre, fidèle à ses instincts de suprématie navale, et ceinte de l’Océan comme d’une écharpe de commandement, fit, de toutes les mers, son domaine exclusif, et à force d’interprétations machiavéliques et de violences juridiques, s’attribua par le fameux blocus sur le papier le droit de fermer et d’ouvrir à volonté les ports du continent.

Or, en frappant ce grand coup, le cabinet de Saint-James se complaisait évidemment dans un monopole immense qui allait faire de ses vaisseaux le véhicule obligé de toutes les marchandises et leur assurer un fret d’autant plus productif qu’il était moins partagé. Dans ce système, le flux et le reflux de la plus grande partie des denrées coloniales devait passer par l’Angleterre et y déposer de fertiles alluvions. L’industrie du pays, aidée par les merveilleuses créations d’Arkwright, de Watt, de Crompton, stimulée par la nécessité de faire face aux colossales dépenses de la guerre, fécondée par des institutions de crédit qui faisaient ruisseler le capital dans toutes les entreprises, devait prendre des développements inouïs et trouver des commanditaires dans l’univers entier. L’agriculture percevrait tranquillement ses rentes à l’abri des corn-laws, et on atteindrait bientôt à ce beau idéal du système mercantile qui consiste à produire tout ce qu’on consomme, à transporter tout ce qu’on crée, à anéantir les ressources des autres peuples, probablement afin de pouvoir commercer plus longtemps avec eux.

Ces illusions étaient faciles et naturelles alors. On n’avait pas encore