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siècles, pour une œuvre où l’on ne craignit pas de méler le nom de la patrie ? En tous cas ces longues boucheries, que l’on nomme des batailles et que l’héroïsme suffit à peine pour réhabiliter, sont de tristes enseignements à donner aux hommes. Aujourd’hui des rois coalisés crucifient un peuple : demain, des bandes, ivres de carnage, crucifieront toute une caste, comme dans la Gallicie. C’est là l’implacable logique du crime, et le sang répandu en haut, soit en immolant une nation, soit en poignardant une femme, retombe de cascade en cascade jusque sur l’échafaud où râle le truand.

D’ailleurs, la lutte de principes, d’hommes, d’intérêts, d’influence qui se personnifia en deux grands peuples, la France, l’Angleterre : — l’une divorçant avec le passé, et s’élançant d’un seul bond jusqu’aux limites extrêmes de la démocratie : l’autre se cramponnant à ce qui fut, et bornant son idéal à une constitution oligarchique : cette lutte qui finit par entraîner toute l’Europe dans un vertige analogue à celui qui arme souvent les bras des témoins dans les duels d’homme à homme, ne s’accomplissait pas seulement sur les champs de bataille. Elle prenait toutes hs formes, tous les théâtres, et variait à l’infini le choix des armes. Les chancelleries n’étaient plus que des conseils de guerre, rêvant des conflits immenses, dont le travail agricole et manufacturier faisait tous les frais. On se haïssait non-seulement sur les champs de bataille, mais encore sur les marchés, dans les arts, dans les sciences, et le suprême effort de chaque pays était d’anéantir la production et la richesse des autres comme on encloue les canons de l’ennemi. L’Angleterre, la France, la Russie, l’Autriche se jetaient leurs enfants à la tête et se mitraillaient avec de l’or, du coton, des protocoles, des édits, des blocus aussi bien qu’avec des boulets.

Les décrets passionnés de la Convention avaient isolé l’Angleterre sous le point de vue politique et commercial, et en avaient fait une sorte de lazaret, où l’on craignait de voir se répandre, avec des flots de marchandises suspectes, des principes entachés d’aristocratie. Il est bien évident même que l’idée de protéger notre industrie avait peu influé sur ces décrets. Le comité de salut public, dans ses implacables et sombres résolutions songeait à autre chose qu’à garantir des profits élevés aux marchands de coton, de quincaillerie, de houille : il songeait à renverser l’Anglais en ôtant à l’industrie de la Grande-Bretagne, les moyens de créer ces trésors qui servaient à subventionner la coalition ; et il faut croire qu’il n’aurait pas menacé de confiscation et de mort les détenteurs de marchandises anglaises s’il avait cru travailler simplement à la fortune de quelques manufacturiers mécontents du traité de 1786. Des considérations de boutique et d’usine n’auraient jamais forcé la main à un gouvernement qui se distingua surtout par l’immolation des intérêts privés. Et si l’Europe a assisté, en 1793, à cet étonnant spectacle de deux peuples qui, déjà, se serraient la main au travers du détroit, qui marchaient par la solidarité des intérêts à