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peuple, et elle se préparait une clientelle innombrable qui, tôt ou tord, devait l’investir du gouvernement.

Quant au peuple, on lui prêchait, comme de coutume, les joies de la vie future et la haine du papisme ; on le faisait oppresseur pour lui faire supporter l’oppression. Il ne voyait le pouvoir qu’à travers le prisme brillant de la victoire, et il payait avec joie l’impôt du sang et de ses sueurs dès qu’on le berçait de l’hymne électrique : Rulee Britania. Le canon vainqueur de Trafalgar couvrait pour lui le canon sauvage de Copenhague, et peu lui importait sa misère, son humilité dès que le roi d’Angleterre se déclarait arrogamment souverain de la Grande-Bretagne et de la France. On peut le dire : pour le peuple, en Angleterre, la guerre de la révolution fut un long enivrement, un délire patriotique de vingt-cinq ans. Ne pouvant pas lui donner ce pain que le despotisme romain accordait aux citoyens, les lords lui donnaient l’autre partie du programme. Ils faisaient de l’Europe une arène sanglante, où il se jetait avec fureur, donnant ses épargnes, sa vie, son âme, en battant des mains. Dans cette effroyable convulsion, le prolétaire voyait le pays à sauver, et il éprouvait une rage patriotique, un besoin d’immolation. L’aristocratie, voyait dans tout cela un duel d’influence, un coup de dé, où elle mettait pour enjeu sa prépondérance et sa richesse. De là, cet acharnement implacable avec lequel elle prépara l’heure de sa vengeance : pavant avec son or les routes qui conduisaient au cœur de notre pays, faisant mouvoir comme des automates géants ces armées que renversa cent fois le souffle révolutionnaire et qu’elle releva cent fois, clouant enfin, sur le glorieux pilori de Sainte-Hélène, un homme de génie et un principe.

Mais les principes et les nations ne se tuent pas à peu de frais, et le jour où les alliés demandèrent le règlement de leurs subsides et vinrent toucher le prix de leur sanglant holocauste, le parlement anglais sut ce qu’il en coûte pour servir les haines et l’intérêt d’une caste. La facture s’éleva, pour les années comprises entre 1793 et 1814, au capital énorme de 623,451,268 l. lesquelles, ajoutées aux 261,735,059 l., qui formaient, à la fin de la guerre d’Amérique, la dette de l’Angleterre, firent peser sur les épaules de ce pays une charge totale de 885,186,823 l. (22 milliards 200 millions de francs). Les dépenses annuelles, qui étaient encore de 19,859,123 l. en 1792, avaient marché à pas rapides. Elles s’élevaient, en 1814, à l’effrayant total de 106,832,260 l. (2,670,806,500 fr.) : et l’Échiquier, qui suivait haletant la marche des colonnes ennemies sur le continent, avait dû verser, entre les mains de ses fidèles alliés, une somme de 46,289,459 l., où l’on ne retrouve pas, sans douleur, 200,000 livres fournies a Louis XVIII, pour qu’il pût venir nous octroyer sa charte, et 31,932 st. pour des armes expédiées dans le midi de la France. — Ne semble-t-il pas voir réellement, dans ces hideuses curées, quelque chose d’analogue aux salaires tachés de sang que d’infâmes assassins reçurent en d’autres temps, nous avons presque dit d’autres