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Et cependant, quoique l’ouvrier fût réellement moins bien payé, cette augmentation de salaires diminuerait nécessairement les profits

    bien-être répartis aux sociétés. Ricardo, frappé de la somme de douleurs et de privations qui accable, au milieu des splendeurs de notre industrie, les mains généreuses et fortes qui exécutent l’œuvre de la production entière ; étonné de voir tant de haillons à côté de tant de luxe, et tant de crises à côté de tant de progrès, s’est pris à désespérer de l’avenir, et, suivant son habitude, ce désespoir que tant d’autres mettent en élégies et en philippiques, il l’a mis en formules, ce qui est plus net, mais tout aussi injuste, tout aussi réfutable. Et d’abord le résultat immédiat, nécessaire de cette croyance au malheur futur des travailleurs, devrait être de suspendre tout à coup le mouvement social, de faire volte-face, et de reprendre en sous-œuvre toutes les théories, toutes les données que les siècles semblent avoir consacrée. Il n’est personne, en effet, doué de quelque prévision, mu par quelque générosité, qui ne frémisse devant cet avertissement sombre, dernier mot de la science de Ricardo : Chaque jour abaisse le salaire réel de l’ouvrier et grandit le prix des subsistances : — ce qui équivaut à dire que chaque jour la société doit s’anéantir par un supplice incessant, que chaque jour doit retrancher un battement au cœur du pauvre et exagérer pour lui le supplice de Tantale en éloignant de plus en plus les fruits et l’eau de ses lèvres avides. Le devoir de tout penseur, de tout législateur, serait donc de faire prendre à la société d’autres routes et de ne pas permettre que la subsistance des masses passât dans le corps des riches, comme passaient la chaleur et la vie des vierges dans les corps débiles et disloqués des vieux rois de la Bible. Mais il n’en est rien, et le bilan de notre société suffirait, sans autres considérations, pour combattre le pessimisme de Ricardo. Ainsi le développement de l’industrie n’a-t-il pas mis à la portée de tous les objets qui constituaient il y a cent ans un luxe ruineux, impossible ? La guimpe délicate qui entoure le sein de nos villageoises, les chauds vêtements qui couvrent nos paysans et nos ouvriers sont d’institution toute récente et témoignent d’un bien-être croissant. Des voies de communication plus parfaites ont permis aux hommes, aux idées, aux choses, de rayonner de toutes parts et de moraliser les populations : des écoles, des salles d’asile, des hôpitaux, des hospices, des crèches s’ouvrent de toutes parts devant l’intelligence qui va éclore, l’enfant qui va naître, le vieillard qui va mourir ; l’air, la lumière, l’eau commencent à circuler dans les rues, grâce à nos institutions municipales, et pour résumer tous ces faits en un seul fait décisif, la moyenne de la vie humaine s’est accrue depuis cinquante années, hâtons-nous de le dire, ailleurs que dans les colonnes élastiques et torses de la statistique.

    Et il n’en saurait être autrement. L’évolution économique suit nécessairement l’évolution politique, et l’influence que gagne chaque jour la démocratie, — cet évangile systématisé et démontré, — doit se refléter et se reflète dans la prospérité générale. Le premier mouvement d’une nation qui se sait indépendante est de se vouloir heureuse, riche ; d’organiser les intérêts et les individus en vue de ce bien-être, et, par conséquent, de progresser, d’aller en avant. Or, la tendance moderne des peuples est vers l’indépendance, et on ne saurait faire un procès à notre époque, sous le rapport industriel, sans y joindre un procès politique, sans souffle-