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celui que l’homme transforme, améliore ou crée. Il veut vivre dans un monde idéal où ne reste rien d’inachevé et d’incomplet, où résident toutes les perfections, indéterminées encore et à peine entrevues ; il veut s’unir à l’Un ou au Bien, à Dieu, parfois dès cette vie, toujours dans une autre qui sera sans fin. Or les grands mystiques disent que nous trouvons Dieu en nous. Psychologiquement et en laissant ici de côté la question de la réalité objective, il est exact d’affirmer qu’ils l’y mettent, dans la mesure du possible, et que l’union de l’âme avec Dieu est celle de l’individu, en son fond primitif, avec son âme indéfiniment agrandie, enrichie et rapprochée de plus en plus de la suprême perfection. Psychologiquement aussi la connaissance de Dieu sort de la connaissance de soi-même[1].

Ainsi Plotin poursuit l’union avec Dieu par la vertu, par la dialectique, par l’amour de la beauté. Et il est de bon conseil, prudent et sage dans la vie pratique, qu’il s’agisse de l’éducation des jeunes gens qui lui sont confiés par testament et de l’administration de leurs biens, de la découverte d’un voleur, ou de Porphyre qui songe au suicide et à qui il ordonne un voyage pour rendre la santé à son esprit malade. (Vie de PlotinIX).

Que la béatitude résulte pour l’homme de la réalisation de cet idéal, c’est ce que l’on peut concevoir sans trop de peine. Toute découverte amène à sa suite une grande joie, depuis celle de la solution d’un problème élémentaire de géométrie par un écolier, jusqu’à celle de la démonstration d’un théorème nouveau que Pythagore ne paya pas trop cher, dit la légende, par un sacrifice de cent bœufs, jusqu’à celles du principe de l’hydrostatique par Archimède, des lois qui régissent la marche des astres par Kepler, de la gravitation universelle par Newton, du vaccin de la rage, de la diphtérie et d’autres maladies redoutables par Pasteur et ses disciples.

Il en est de même pour celui qui atteint un idéal moral, pour l’enfant à qui sa mère dit qu’elle est satisfaite de sa conduite, pour Franklin qui avance dans la pratique des vertus dont il veut se rendre maître, pour Vincent de Paul qui délivre des prisonniers ou

  1. Je demande la permission de renvoyer, pour ne pas les reproduire, aux pages de l’Esquisse d’une histoire générale et comparée des philosophies médiévales, p. 102-110, où il a été montré que la doctrine de Plotin constitue l’explication systématique de la formule de saint Paul : c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes.