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première, on pouvait constater l’existence de phénomènes morbides. Il n’y a plus guère que des phénomènes morbides chez ceux de la troisième classe. Et la description pourrait en être étendue à l’infini.

Les anciens logiciens avaient noté que la compréhension ou le nombre des caractères inclus dans une idée générale est en raison inverse de son extension, c’est-à-dire du nombre des êtres auxquels elle s’applique. Il en est ainsi du mysticisme. Les trois classes de mystiques pourraient être représentées par un cône, tronqué tout près de son sommet, qui figurerait la première, tandis que la troisième serait à la base. En tout temps et en tout lieu, les mystiques de la première classe sont peu nombreux, parce que toujours et partout sont fort rares les hommes qui atteignent un développement aussi complet de toutes leurs facultés naturelles ou même de l’une d’entre elles. Ils sont plus rares encore, en dehors des périodes théologiques, quand l’activité humaine se propose surtout, comme depuis trois siècles, de connaître, de conquérir et d’améliorer le monde dans lequel nous vivons. Et c’est peut-être pour cette raison que ne les rencontrant guère de nos jours — où ils se présentent plus volontiers sous le nom d’intuitionnistes — on n’a plus étudié que les mystiques de l’ordre inférieur. Car dans la seconde classe, le nombre des grands mystiques diminue aussi à mesure que les préoccupations de l’homme le portent à transformer notre monde en l’améliorant, plutôt qu’à constituer un monde intelligible d’où sera éliminée toute imperfection. Le nombre reste grand des mystiques de la troisième classe, quoiqu’ils soient bien moins nombreux qu’ils ne l’étaient pendant tout le moyen âge — du ier siècle au xviie — où des individus transmettaient autour d’eux, par contagion psychologique et physiologique, les phénomènes morbides qui se groupaient d’une façon presque naturelle, autour d’une idée ou d’une image religieuses.

Cette classification n’est pas chronologique ; les documents font défaut pour la construire en ce sens d’une façon suffisante. Il est toutefois évident que les mystiques de la première classe ont dû faire assez tard leur apparition, car elle suppose une haute culture de l’individu et de la société. En outre, il est impossible d’établir