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morbides ou cérébraux qui n’impliqueraient pas une santé parfaite. On aura soin de les noter : la cause en sera dans des accidents qui surviennent indifféremment à tous les hommes, parfois dans l’excès de travail cérébral ou de contention intérieure que s’impose le mystique. Mais, en aucun cas, on n’établira une relation de cause à effet entre l’état de maladie et le développement spirituel du mystique sous toutes ses formes, pas plus qu’on ne considère l’épilepsie de Flaubert, l’hémiplégie de Pasteur, les phénomènes morbides qui présageaient et précédaient la folie chez Maupassant, comme la cause à laquelle il faut rapporter leurs découvertes ou leurs œuvres[1].

Une seconde classe comprend les mystiques qui travaillent à leur perfectionnement, mais qui usent des pratiques théurgiques ou religieuses. On y distingue trois groupes. Les uns laissent encore une part considérable à l’homme, en soutenant qu’il dépend de lui d’amener l’intervention de la Divinité. D’autres, tout en se proposant le développement de la personnalité, usent surtout des pratiques. Enfin il en est qui condamnent la science et l’art comme moyens de perfectionnement et qui s’en remettent entièrement aux pratiques pour réaliser en eux l’idéal moral, dont la Divinité présente le type supérieur.

Il n’est pas facile d’établir les démarcations entre les trois groupes. Ce sont, pour ainsi dire, des groupes ouverts, dans chacun desquels un seul et même mystique pourra figurer, selon que l’on considérera tel ou tel côté de son existence.

Chez tous, une part reste à l’homme — ne fût-ce que l’acte par lequel il s’abandonne à Dieu ou à Jésus — ; Dieu est conçu comme un idéal de perfection dans lequel il entre des éléments de menta-

  1. Ainsi Plotin — auquel Suidas, huit siècles après sa mort, attribue des attaques d’épilepsie dont n’ont parlé ni Porphyre ni Eunape et qui, par conséquent, ne sauraient être considérées comme réelles — a eu une santé assez bonne, malgré une méditation à peu près continuelle, malgré le peu de sommeil et de nourriture. Il eut, semble-t-il, l’intestin fragile, mais il vécut jusqu’à soixante-six ans. S’il fut atteint dans les dernières années de sa vie, comme le montre Porphyre, de la maladie dont il mourut, il n’y a là rien qui ressemble à des troubles cérébraux ou à une malade nerveuse. Des remarques analogues pourraient être faites pour ceux de nos contemporains qui se rattachent, en affirmant que nous saisissons Dieu par une intuition, à la mystique plotinienne. Le nombre en est plus grand qu’on ne pense, mais ils n’ont aucun signe extérieur qui les désigne à l’attention, comme ceux chez qui se rencontrent des phénomènes morbides et voisins de la folie.