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peut subir une doctrine élevée et féconde en passant par des milieux d’une mentalité constamment décroissante.

Et nous voici en présence de deux conceptions absolument opposées. Dans l’une, on tiendra surtout compte de la perfection poursuivie et atteinte, en laissant au second plan l’état de santé générale ou cérébrale, les dispositions singulières ou bizarres, les manières de vivre qui s’écartent de la moyenne assez pour faire penser à l’absence complète de sens pratique ou même à la folie. Dans l’autre, le mystique sera, par excellence, celui chez qui l’on trouve les phénomènes nerveux ou morbides d’où résultent pour l’individu la maladie cérébrale et la folie. On ne se préoccupera nullement de savoir si le Dieu auquel il veut s’unir représente la souveraine perfection, s’il a lui-même fait effort pour devenir moins imparfait, s’il a atteint un degré plus ou moins élevé de développement intellectuel, esthétique ou moral.

II

Faut-il se prononcer pour l’une ou pour l’autre des deux conceptions ?

Il faut reconnaître qu’on ne saurait établir une classification des mystiques sans examiner l’idée qu’ils se font de l’être dont ils poursuivent la contemplation ou la possession, non plus que les moyens dont ils usent pour y parvenir. Mais s’il y a des hommes pour qui l’idéal à atteindre est la perfection conçue, sous sa forme complète en Dieu, sous une forme aussi élevée que possible dans l’homme, comme Plotin, Avicenne, Averroès, Ibn Gebirol, S. Thomas ou Roger Bacon auxquels on pourrait joindre quelques-uns de nos modernes intuitionnistes ―, il arrive que l’idéal est moins haut et que moins élevés aussi sont les moyens employés pour l’atteindre.

D’abord la notion de l’idéal s’abaisse. Et c’est par là surtout qu’un Plotin diffère d’une malade de la Salpêtrière, même avant qu’on ait dû procéder à son internement. Poursuivre la perfection sous sa triple forme, Bien, Beau et Vrai, est chose commune aux grands mystiques et à tous ceux qui, après Condorcet et sans admettre l’immortalité personnelle, veulent que l’humanité s’avance