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maladifs où certains représentants des religions voient une preuve de l’union mystique avec Dieu. Pour lui, ce sont des symptômes d’affections cérébrales, des signes de malformation native ou de déformation accidentelle du cerveau (p. 4). C’est d’ailleurs les mystiques et les théologiens chrétiens qu’il vise (p. 12). Chez les premiers, il relève des imperfections — qu’on pourrait signaler chez bien d’autres que des mystiques[1] — des bizarreries, des singularités, des phénomènes que l’on constate chez les fous. Aux seconds, il emprunte les trois voies qui conduisent à la perfection, la voie purgative, la voie illuminative, la voie unitive, présentées sous une forme qui montre déjà comment une conception profonde, dont le but est le souverain perfectionnement de toute la personne humaine, se transforme et se déforme chez des esprits d’ordre inférieur. Pour le docteur Thulié, ces trois voies sont les grandes routes de la folie parsemées de phénomènes maladifs. Lorsqu’on arrive à la voie unitive, la maladie mentale est déjà absolument établie et, dans le plus grand nombre des cas, entièrement incurable (p. 13). « Pour les gens habitués, dit-il, à voir les illuminés dans les maisons d’aliénés où on les rencontre surtout aujourd’hui, il n’y a là que des hallucinations, du délire systématisé et des phénomènes convulsifs ; les mystiques divine, diabolique ou naturelle, constituent une vaste collection d’observations de malades atteints d’aliénation mentale, dont les plus fous sont les plus honorés » (p. 14). Le docteur Thulié part donc de l’étude des mystiques que l’on traite dans nos asiles — et, se bornant à mettre à part ceux qu’il appelle des dégénérés supérieurs, « comme la délicieuse sainte Thérèse » (p. 16), il y relève surtout « des débiles intellectuels, des imbéciles et quelques déments, plus rares que les aliénés mystiques tués par les macérations et les jeûnes où les pousse leur délire et qui meurent le plus souvent avant de tomber dans la dégradation cérébrale ultime » (p. 16). Étude d’où est absente toute sympathie, mais fort intéressante, car elle nous présente toutes les déformations que

  1. Par exemple l’orgueil chez saint Martin, chez Boehme (p. 27), chez saint Augustin, etc. Sur Jacob Boehme, voir le travail de M. Boutroux. Voir aussi son Pascal où il met fort bien au premier plan tout ce qui a vraiment une importance capitale dans l’existence de Pascal. On lira utilement aussi La psycho-physiologie des états mystiques (Année psychologique, XVII, 97-144) et le Mysticisme catholique et l’Âme de Dante, Paris, Bloud, de M. Albert Leclère, qui avait abordé autrefois l’étude du mysticisme dans nos conférences des Hautes-Études.