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ou morale, qu’il y a en lui un grain de folie et qu’il possède rarement la santé intellectuelle et morale dont jouissent ses semblables moins favorisés. Le mystique qui poursuit le développement complet ou partiel de ses facultés pourra oublier la pratique des règles les plus élémentaires de la vie usuelle et paraître singulier ou même voisin de la folie. De là une classification des mystiques d’après les divergences qu’ils présentent par rapport aux individus qui rentrent dans la moyenne normale : on signalerait, d’un côté, les bizarreries, les distractions, les inaptitudes d’adaptation à la vie pratique, de l’autre les lacunes relatives à la vie intellectuelle et morale, les déviations qui peuvent être trouvées chez ceux dont l’état de folie ne fait aucun doute, les phobies, les hallucinations, etc.

On sait de même que la santé physique se présente aussi rarement à l’état pur que la santé intellectuelle et morale. C’est un paradoxe souvent développé que la maladie est partout, que la santé complète n’existe nulle part. Or le mystique, qui cherche science, beauté et sainteté, fait du cerveau un usage si continu qu’il peut en résulter une fatigue et des troubles d’où naissent les neurasthénies et les maladies nerveuses. Puis la tempérance qu’il veut trop stricte, les privations qu’il s’impose, l’excès de travail ou de méditation intérieure mettent l’organisme dans une situation mauvaise qui a son retentissement sur le système nerveux. Enfin les causes qui agissent sur les hommes ordinaires agissent sur le mystique pour produire des maladies de l’organisme et du système nerveux. Pour toutes ces raisons, il pourra présenter des phénomènes identiques à ceux que l’observation clinique relève chez les fous dont l’intelligence a presque complètement sombré.

Voici donc une nouvelle façon de ranger les mystiques. Au lieu de constater uniquement les progrès vers le perfectionnement total de l’individu, on relèvera les signes de folie ou de maladie, les tares physiques, intellectuelles et morales : le mysticisme ne sera plus ainsi qu’une maladie et une folie.

C’est ce que fait le docteur Thulié, plus occupé d’ailleurs de combattre le merveilleux « fléau de l’intelligence humaine », que de rassembler les caractères des mystiques non adhérents aux religions révélées, pour en faire sortir une classification positive et vraiment scientifique. Son livre traite surtout des phénomènes