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mule serait « Philosophia est scientia ». Il n’y a, à mon sens, d’autre philosophie que la science positive. Et s’il y a lieu pour présenter la philosophie contemporaine de se livrer à des recherches spéciales que je crois caractériser d’une manière assez nette en les désignant par cette expression « histoire de la pensée scientifique contemporaine », c’est le fait seul des circonstances, de la division du travail et de la complexité de ses résultats. Elles ne permettent plus à un savant spécialisé d’être représentatif de toute la pensée scientifique de son temps, comme le furent Aristote ou Descartes. À ce point de vue les problèmes de la destinée humaine ne sont nullement extra-scientifiques. Dans un positivisme absolu, ils me paraissent ne pouvoir être que des applications techniques des données scientifiques. J’ai choisi le problème religieux pour donner une très grossière illustration de mes idées à ce sujet. La psychologie et, surtout, la sociologie, sciences de faits, épuisent pour moi l’étude de la question, de même que pour le problème moral et le problème de la connaissance.

Ce qui fait précisément l’irréductibilité du point de vue de M. Gilson et du mien propre, c’est que pour moi, il n’y a point de questions extra-scientifiques, parce qu’il n’y a point de méthode légitime en dehors des méthodes scientifiques. Depuis les mythes religieux ou les rites magiques, la science positive se constitue par un lent travail d’élimination, en rejetant tout ce qui n’est pas susceptible de satisfaire les exigences de notre connaissance. Elle affine et concentre les moyens, tous les moyens et les seuls moyens d’atteindre la vérité. C’est du moins la meilleure définition que je croirais pouvoir en donner. Je pense donc, au point de vue de la connaissance et de l’action, que « hors de la science il n’y a point de salut ». Et c’est pourquoi j’ai appelé cette attitude un positivisme absolu. Justifier cette thèse, ni M. Gilson, ni l’immense majorité de ceux qui croient avec lui à la possibilité d’autres méthodes pour approcher la vérité, ne s’attendront à ce que je le fasse ici. Car si j’osais assigner à ma vie un but qui dépasse mes forces à ce point, c’est par cette justification et par la collaboration la plus étendue possible à la représentation totale de la pensée scientifique contemporaine que je le définirais.

Abel Rey.

P.-S. Quelques mots à propos de détails. Si Kant s’était borné à « méditer la science de Newton » son œuvre me paraîtrait autrement forte, et autrement moins aventurée qu’elle ne l’a été. — Il me semble aussi que la psycho-physique et la psycho-physiologie ne sont qu’une partie — assez restreinte — de la psychologie positive. — Enfin je trouve très légitime la réflexion métaphysique, comme forme d’art, répondant à des besoins esthétiques, mais nullement comme forme de connaissance ou de direction pour agir.