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notes et discussions

l’expérience » (p. 476). Nous accordons volontiers que de tels problèmes se posent, mais nous doutons qu’ils puissent se poser, même en ces termes, dans un positivisme absolu. Le positivisme absolu, en effet, n’a pas d’autre tâche que le recensement des résultats de la science ; or, aucune science, et pas plus la psychologie que la sociologie, ne se pose le problème de la destinée humaine et du sens de la vie. La psycho-physique et la psycho-physiologie, n’ont fait que s’écarter de plus en plus de pareils problèmes ; la sociologie positive de M. Durkheim ne semble pas davantage s’orienter dans un tel sens. Il est vrai que le positivisme absolu se propose de demander à la science « non seulement des ressources intellectuelles, mais encore et surtout des ressources pratiques et vitales » (p. 476) ; or rien ne nous paraît plus légitime que de telles aspirations, mais à cette condition essentielle qu’on ne se propose pas d’abord comme but « de montrer que la philosophie ne peut et ne doit être en esprit et en contenu que le système des sciences positives, c’est-à-dire que la science positive » (p. 461, note). L’incompatibilité de ces propositions nous paraît évidente lorsque nous considérons que cette philosophie qui prétend se réduire au contenu de la science positive, envisage comme des problèmes essentiels les problèmes de la destinée humaine et du sens de la vie, problèmes que la science positive ignore par définition, problèmes qu’elle n’atteindra jamais, non parce que nous prédisons que l’objet lui en échappera toujours, mais parce qu’ils sont, dans leur esprit même, extra-scientifiques, problèmes enfin qui bien loin de naître des sciences positives nous ont été posés par la métaphysique et par la religion. Comment dès lors accorderions-nous cet « humanisme » avec ce « positivisme absolu » ; comment surtout affirmer que la philosophie « ne peut, ne doit rien ajouter à ce que nous disent les savants », si c’est en dehors de la science que les problèmes fondamentaux se posent à cette philosophie ?

On disait au moyen âge « Philosophia ancilla theologiae. » La philosophie s’est libérée de ce servage. On nous dit aujourd’hui « Philosophia ancilla scientiae » ; ce second servage ne vaudrait pas mieux que le premier. La philosophie n’est la servante de personne. Laissons-la, sans l’isoler de la science mais aussi sans l’y résorber, poursuivre l’œuvre commencée depuis plusieurs siècles ; comme la science elle-même elle réalisera, du point de vue qui lui est propre, des approximations de plus en plus rigoureuses de la vérité.

Ét. Gilson.


Il y a entre M. Gilson que je remercie de ses intéressantes observations et moi un malentendu d’abord, ensuite une opposition de points de vue irréductibles.

Pour moi la philosophie n’est pas « ancilla scientiae ». La seule for-