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phiques qui ne pourront être établies « que par les savants et même par les plus grands d’entre eux ». S’agit-il, selon l’expression que nous avons citée, de leur demander leurs méthodes et leurs résultats, ce qu’ils pensent de leurs méthodes et de leurs résultats ? Sans aucun doute les savants ont sur ce point la compétence, mais à condition qu’ils se cantonnent strictement dans le programme qui vient d’être tracé. Lorsqu’un mathématicien s’efforcera d’analyser le raisonnement mathématique, lorsqu’un géomètre nous exposera ce qu’il entend par l’espace, nous devrons simplement recueillir cette critique compétente de la science. En admettant que nous supprimions en nous toute velléité de critique personnelle et que nous renoncions à choisir entre des généralisations parfois contradictoires, cette attitude n’a rien d’impossible. Mais lorsqu’un géomètre, lorsqu’un savant quelconque nous donne ses conclusions sur « la valeur de la science », sur le sens et la portée des lois scientifiques, ne dépasse-t-il pas manifestement les bornes de sa compétence, ne redevient-il pas de géomètre ou physicien qu’il était philosophe et simple métaphysicien ? Nous ne voyons pas de discipline scientifique quelle qu’elle soit, qui confére au savant une compétence spéciale pour poser le problème inévitable et capital de la critique de la connaissance. En fait n’est-il pas significatif que le problème critique soit sorti des méditations d’un Kant sur la science de Newton qu’il n’avait pas faite, et non des méditations d’un savant sur la science qu’il constituait et dont il établissait les lois ? Serait-ce donc que des problèmes capitaux comme celui de la valeur de la science ou des limites de la connaissance ne sortiraient pas de la science même ? On s’en persuadera plus aisément peut-être en considérant que certaines spéculations de nos savants contemporains sont pour une part des découvertes tardives de la critique de la raison pure, historiquement et en fait la conception générale que M. Poincaré et M. Le Dantec se font de la science est beaucoup moins solidaire de leurs recherches et de leur compétence scientifique que du criticisme purement philosophique de ce Kant qui « inaugura nettement la philosophie consciemment et volontairement indépendante de la science » (p. 462). Et s’il en est ainsi comment n’y aurait-il pas place à côté ou au-dessus de la science pour quelque chose qui serait une métaphysique, une critique de la connaissance, de quelque nom qu’on la nomme, mais qui serait autre chose que l’histoire de la pensée scientifique contemporaine, et qui serait la philosophie ?

Cette position purement passive de la philosophie est d’ailleurs si peu tenable que M. Rey semble en fin de compte l’abandonner lui-même. À cette tâche d’historien de la pensée scientifique contemporaine le philosophe devrait ajouter l’étude, à la lumière « de nos connaissances psychologiques et sociologiques, du problème de la destinée humaine et du sens de la vie, sans autre souci que celui de la vérité objective, c’est-à-dire des résultats de l’observation et de